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Mulroney-Schreiber: attendre les vraies réponses…

«L'enquête publique présidée par l'ancien juge Jeffrey Oliphant conclut que les liens d'affaires entre l'ancien premier ministre Brian Mulroney et le marchand d'armes Karlheinz Schreiber étaient «inappropriés». (…) L'ancien premier ministre progressiste-conservateur a admis avoir reçu de Schreiber 225 000 $ dans des enveloppes au début des années 1990 et avoir caché le tout pendant des années. (…) M. Schreiber soutenait qu'il s'agissait plutôt de 300 000 $.(…)

La commission Oliphant n'avait pas non plus comme mandat de faire la lumière sur les contrats accordés à Airbus par Air Canada et sur le rôle présumé de Brian Mulroney. Il a été allégué que M. Mulroney avait exercé des pressions pour que cet onéreux contrat se concrétise. Des rumeurs ont aussi circulé selon lesquelles M. Schreiber devait recevoir une commission substantielle si cette vente se réalisait.»  Extrait de:  http://www.cyberpresse.ca/dossiers/commission-oliphant/201005/31/01-4285474-les-liens-entre-mulroney-et-schreiber-etaient-inappropries.php?utm_source=twitterfeed&utm_medium=twitter&utm_campaign=manchettes

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On écrira beaucoup sur le rapport Oliphant et ses observations fort intéressantes et pertinentes.

Dont la constatation fort évidente du caractère «inapproprié» de l'acceptation d'enveloppes d'argent comptant par M. Mulroney sans en avoir laissé la moindre trace documentée – dont la première fut reçue alors qu'il était encore un membre du parlement.

«Inapproprié»? Pour reprendre la tirade de Molière: Ah! Qu'en termes galants ces choses-là sont mises

Le fait est pourtant qu'aujourd'hui, les Canadiens ne savent toujours pas en échange de quels services M. Mulroney fut «rémunéré» par K. Schreiber par l'échange d'enveloppes remplies d'argent comptant en coupures de 1 000$ – un paiement pour lequel les deux hommes se sont assurés, selon Me Oliphant, de ne créer aucune preuve documentée, aucun «paper trail».

Fait à noter: ce choix, l'ancien juge l'a même qualifié de «scheme» (un «plan», une «combine»): «as part of a scheme on the part of both Mr. Schreiber and Mr. Mulroney to avoid creating a paper trail, thereby concealing the fact that a business and financial relationship existed between them».

Les mots choisis ici avec soin par l'ancien juge semble bien décrire une «intention», «a scheme», et non une simple «erreur de jugement». Et ce, au moment où K. Schreiber obtenait un «degré remarquable d'accès» à M. Mulroney alors qu'il était premier ministre – un exploit en effet tout à fait exceptionnel.

Ce qui soulève une autre question: pourquoi avoir agit, par trois fois, de manière à ne pas documenter cette «transaction» par l'usage de chèques, de reçus ou de dépôts à une institution bancaire?

À noter aussi: parce que les deux hommes n'ont laissé aucune trace à l'époque de ces paiements, l'ancien juge s'est déclaré incapable de même établir le montant qui fut payé à M. Mulroney par K. Schreiber en argent comptant, le laissant donc: «not being able to say what amount of money was paid».

Les Canadiens ne sauront donc pas non plus si ce montant était de 300 000$, ou s'il était inférieur ou supérieur à celui-ci.

Bref, 17 ans après les événements en question, une longue enquête de la GRC, une poursuite de M. Mulroney contre le gouvernement Chrétien, une commission d'enquête et tutti quanti, les Canadiens ne connaissent toujours pas la hauteur du montant en argent comptant qui fut payé à M. Mulroney, ni la nature des services rendus par l'ancien premier ministre pour ce montant, ni encore les raisons pour lesquelles ce dernier a choisi par trois fois de ne laisser aucune trace de cette «transaction» faite en argent comptant dans des enveloppes échangées privément – l'«erreur de jugement» ne tenant pas comme explication raisonnable dans de telles circonstances.

Voici d'ailleurs ce qu'en disait Me Oliphant ce lundi: «on the issue of what services Mr. Mulroney provided in return for the payments by Mr. Schreiber, I have grave concerns about the total absence of any independent evidence, whether documentary or otherwise, that might tend to support Mr. Mulroney's testimony. Given this vacuum, I am not able to find that any services were ever provided for the moneys paid to him by Mr. Schreiber persuent to the retainer.»

Bref, on ne sait toujours pas si des services furent rendus. Et si oui, lesquels?

L'épaisseur de ce mystère est proprement incroyable. Mais même Sherlock Holmes y aurait perdu son latin si on lui avait imposé un mandat aussi restreint que celui qui fut imposé à Me Oliphant…

Ce qui, encore une fois, laisse donc sans réponse les questions pourtant essentielles du montant reçu, de la nature des services rendus en échange et de la motivation derrière le choix de ne laisser aucune trace de ces paiements en argent comptant.

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Et ce qui, par conséquent, laisse aussi la question d'Airbus encore et toujours sans réponse. (En 1988, sous le gouvernement Mulroney, Airbus obtenait d'Air Canada un contrat de 1,8$ milliards pour 320 avions.)

En conclusion de sa présentation devant la presse, Me Oliphant – dont ce n'était de toute façon pas le mandat -, s'est dit incapable d'associer M. Mulroney à l'«affaire» Airbus.

Il a toutefois noté que, malgré le fait que son mandat ne couvrait pas l'affaire Airbus, il y a eu un moment où, au cours de l'enquête sur les faits («the factual inquiry»), furent soulevées trois correspondances présumément écrites par Fred Doucet à K. Schreiber concernant la question d'Airbus.

Une fut écrite le 27 août 1993, soit le jour où messieurs Schreiber et Mulroney se sont rencontrés à l'hôtel de l'aéroport Mirabel.

Mais, rien dans la correspondance, ajoute Me Oliphant, «sheds any light on why the three payments were made to Mr. Mulroney».

Il a aussi noté que même si M. Mulroney n'aurait pas été au courant de la provenance de l'argent que K. Schreiber lui donnait en comptant, il fut établi que cet argent provenait d'un compte de banque en Suisse «that can be traced back to commission payments made to International Aircraft Leasing Limited, a company incorporated in Liechtenstein by Airbus industries in connection with the sale of Airbus aircraft to Air Canada».

Par contre, selon Me Oliphant, aucun de ces éléments, à moins de «spéculer» ou de déclarer quelqu'un «coupable par association», ne constituerait en soi une preuve associant M. Mulroney à l'«affaire Airbus».

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*** Donc, les Canadiens ne sauront probablement jamais non plus ce qui s'est vraiment passé avec l'affaire Airbus.

Comme ils ne sauront probablement jamais où sont allés les millions de dollars présumément distribués à travers le Canada par K. Schreiber en «grease money» pour s'assurer à l'époque qu'Airbus obtienne ce contrat de 1,8$ milliards et ouvre ainsi le marché nord-américain à ses avions.

Une question pourtant aussi importante que celle posée aujourd'hui par les partis d'oppostion, à savoir si M. Mulroney devrait rembourser les $2 millions gagnés en 1997 dans sa poursuite contre le gouvernement fédéral.  Voir: http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2010/05/17/rien-de-trop-beau-pour-la-classe-ouvri-232-re.aspx

Dont ceci: Le 6 mai dernier, le Globe and Mail rappelait justement à quel point, nonobstant tous les frais encourus par les contribuables canadiens dans cette histoire, ils ne sauront probablement jamais ce qui s'est vraiment passé.

Surtout en ce qui concerne les liens allégués entre d'un côté, le lobbyiste Schreiber et des millions de dollars qu'il a affirmé avoir distribués au Canada en pots-de-vin pour son client Airbus, et de l'autre, l'ancien premier ministre Mulroney et quelques conservateurs influents de l'époque quant à la décision finale du gouvernement fédéral à l'époque d'octroyer à Airbus un des plus gros contrats de l'histoire canadienne:

«In some ways, this is the end of the road," said Harvey Cashore, a journalist who has just released a book on his 15-year investigation of the Airbus affair. "Schreiber is 76 and an eight-year sentence is long for anybody."

Still, Mr. Cashore said, "there are a lot of secrets out there about this scandal. We still know there are millions in shmiergelder [grease money] unaccounted for, but it is looking more and more like German and Canadian institutions don't want to find out any more about it."

Mr. Schreiber's rise to notoriety in Canada began in 1995, when he was named in a letter sent by Ottawa to Swiss authorities. The Justice department and the RCMP said they needed help looking at bank accounts because of suspicions Mr. Schreiber had been paid secret commissions on the sale of Airbus aircraft to Air Canada, then a Crown corporation. The letter alleged that some of that money was channelled to former prime minister Brian Mulroney and former lobbyist Frank Moores to ensure Airbus got the contract.

Mr. Mulroney sued for libel, and won a settlement from the government that included an apology and the payment of his legal fees.»

Extrait de: http://www.theglobeandmail.com/news/national/questions-left-unanswered-as-schreiber-jailed-for-8-years/article1558501/&usg=AFQjCNHI8u-JHQjfphNQR0irYVXmvxRqSQ/