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Un projet de loi irresponsable

 

        

                     @ Droits constitutionnels à vendre?

 

On dirait bien que le gouvernement Charest n'a pas encore atteint son quota de crises politiques pour son troisième mandat.

Car le voilà maintenant que vient carrément jouer dans les critères d'admissibilité à l'école anglaise au Québec pour les modifier et les élargir – sûrement LA section charnière de la Loi 101. Et ce qu'il pourra d'ailleurs continuer à modifier à sa guise, selon les notes explicatives, par voie de simple règlement.

Lisez avec attention l'article 73.1 du projet de loi 103: «Le gouvernement peut déterminer par règlement le cadre d'analyse suivant lequel une personne désignée en vertu de l'article 75 doit effectuer l'appréciation de la majeure partie de l'enseignement reçu qui est invoqué à l'appui d'une demande d'admissibilité fondée sur l'article 73. Ce cadre d'analyse peut notamment établir des règles, des critères d'appréciation, une pondération, un seuil éliminatoire ou un seuil de passage et des principes interprétatifs. Le règlement peut préciser dans quels cas ou à quelles conditions un enfant est présumé ou est réputé satisfaire à l'exigence d'avoir reçu la majeure partie de son enseignement en anglais au sens de l'article 73. Le règlement est adopté par le gouvernement sur la recommandation conjointe du ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport et du ministre responsable de l'application de la présente loi.»

On voit ici l'étendue du pouvoir arbitraire que se réserve le gouvernement, sur simple recommandation de deux ministres, dans la détermination des critères d'admissibilité à l'école anglaise subventionnée. Rien de moins. Ces critères constituant l'élément-clé de la Loi 101 dans sa volonté d'assurer que les enfants d'immigrants fréquentent l'école française dans un but de francisation d'intégration et de cohésion sociale.

(* Si la Cour suprême a déjà imposé la fameuse «clause Canada» comme critère supplémentaire d'admissibilité à l'école anglaise à la Loi 101 originelle, l'étendue du pouvoir arbitraire que donne ce projet de loi au gouvernement dans la détermination et la modification de ces critères est proprement spectaculaire.)

Et c'est bien là qu'est le coeur de sa réponse au jugement de la Cour suprême sur les écoles anglaises dites passerelles – le projet de loi 103.

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Cette réponse est aussi le pire des scénarios possibles avec l'adoption du concept hautement subjectif, aléatoire et franchement alambiqué – concocté par la Cour suprême – de «parcours authentique» de l'enfant.

Et là encore, le pouvoir arbitraire du gouvernement règne. Même ici: «Les dispositions réglémentaires peuvent notamment varier selon la nature des demandes et les caractéristiques de l'établissement d'enseignement fréquenté.» Misère…

Bref, ce sera selon le bon vouloir du gouvernement sur quelque chose d'aussi essentiel que les critères d'admissibilité à l'école anglaise.

On a bien sûr aussi rallongé de un à trois ans la période requise pour qu'un enfant francophone ou allophone se «qualifie» pour obtenir un certificat d'éligibilité à l'école anglaise subventionnée, privée ou publique.

Si ce projet est adopté tel quel, les écoles passerelles continueront donc d'exister (prenant pour acquis qu'une école passerelle existe bel et bien du moment où sa fréquentation aidera à créer maintenant un «pont» vers l'école anglaise subventionnée au bout de 3 ans). Ce que le projet de loi dit dans les faits est qu'il en interdit la «mise en place».

Le projet de loi prévoit une liste de «critères» hautement interprétatifs et appelés à être modifiés et modulés selon la situation du «client», poussant l'absurde jusqu'à créer un «système de points» pour l'enfant, incluant une évaluation par des fonctionnaires du «statut» de l'école non subventionnée; de sa «clientèle»; du contexte familial de l'enfant, etc…

Une chose est claire: cette liste est une négation de l'esprit et de la lettre de la Loi 101 sur la langue d'éducation.

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La ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, s'étant montrée plus ou moins  incapable en point de presse de prévoir combien d'enfants auraient ainsi à l'avenir accès à l'école anglaise subventionnée ou de répondre aux exemples plus pointus donnés par les journalistes à savoir ce qui constituerait ou non un «parcours authentique» – «je ne veux pas m'inscrire en spécialiste de la grille!», a-t-elle dit -, le résultat risque d'être une ouverture de plus en plus grande aux «diverses circonstances» de chaque enfant et de sa famille.

Ne PAS savoir ces deux choses pourtant très importantes, cela aussi tient de l'irresponsabilté.

Sans compter les contestations qui se multiplieront de la part de ces parents plus fortunés et de leurs avocats dans les cas où leurs enfants se verraient refuser son certificat d'éligibilité à l'école anglaise subventionnée.

Et ce ne serait pas surprenant non plus que la Loi elle-même, une fois adoptée, soit également contestée devant les tribunaux pour n'importe quelle raison…

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Une constatation s'impose: avec ce projet de loi, nous voici de retour à un arbitraire digne des fameux tests linguistiques de la Loi 22 de Robert Bourassa. Et le message est dévastateur: pour plusieurs, le français sera la langue des moins fortunés.

Bref, il sera possible à nouveau, comme avant 2002, pour des parents francophones et allophones d'«acheter» le droit d'accès aux écoles anglaises subventionnées en payant pour le passage de leur enfant par une école privée non subventionnée. C'est seulement que – pour reprendre la formule d'un journaliste au point de presse – la «passerelle» sera un peu plus longue et plus onéreuse.

Mais comme le notait aussi Mme Courchesne en point de presse, n'est pas nécessairement «pauvre» qui l'on pense. Et d'ajouter qu'un oncle ou une tante pourrait aussi contribuer financièrement…

Voilà tout un concept: un droit constitutionnel achetable par un parent, ou les deux, ou en groupe par la famille et/ou les amis… Une loterie peut-être?

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La chose est très sérieuse: ce régime, par conséquent, crééra deux catégories d'immigrants, d'allophones et de francophones: d'un côté, ceux qui voudront et pourront se «payer» ce droit & auront des «circonstances familiales» aptes à répondre à la «grille d'analyse» des fonctionnaires. Et de l'autre côté, ceux qui en seront incapables.

Surtout, en créant deux catégories d'immigrants, le gouvernement accordera de facto à la minorité anglo-québécoise un statut de «société d'accueil» pour une partie des nouveaux arrivants au Québec.

D'ailleurs, à cette enseigne, attendez-vous à ce que les enfants immigrants d'un seul parent venu d'un pays dit anglophone se qualifient encore plus facilement.

Ce faisant, le gouvernement accorde de facto, mais sans le dire, ce que revendiquait le Rapport Chambers en 1992 (comité mis sur pied par le gouv. Bourassa & présidé par Gretta Chambers). Soit l'admission à terme au réseau scolaire anglophone d'enfants originaires de pays dont une des langues est l'anglais.

Ce qui frappera un autre élément-clé de la Loi 101: l'obligation, hormis quelques rares exceptions, pour tous les enfants de nouveaux arrivants, quelle que soit leur langue maternelle ou origine, de fréquenter l'école primaire et secondaire en français.

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Récapitulons: le concept de «parcours authentique» ouvrira une brèche notable dans la section charnière de la Loi 101 établissant que sauf pour de rares exceptions, les enfants de parents francophones et immigrants doivent fréquenter l'école primaire et secondaire française.

Le gouvernement aura beau l'avoir enrobé d'un «bouquet» d'autres mesures, cette brèche est bel et bien réelle. Une brèche importante, laquelle est aussi complexe qu'arbitraire.

À l'heure où les reculs du français sont de plus en plus évidents et documentés par Statistiques Canada, des démographes et mathématiciens respectés; où déjà près de la moitié des allophones ayant fréquenté l'école française choisissent un cégep et une université anglophone; où l'anglicisation de Montréal se voit et s'entend; où le français piétine comme langue de travail à Montréal; l'opération «projet de loi 103» est surtout marquée du sceau de l'irresponsabilité.

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Comment se fait-il que depuis le milieu des années 1990, les gouvernants du Québec refusent d'assurer une protection maximale au français dans le seul État du continent dont il est la langue officielle?

Pas surprenant que le premier ministre et ses ministres se soient réclamés aujourd'hui de Lucien Bouchard, lequel, dès 1996, a refusé de recourir à la clause dérogatoire pour protéger l'affichage commercial français en affirmant qu'il ne pourrait plus se «regarder dans le miroir» s'il le faisait. Tout comme il a rejeté toute forme de renforcement de la Loi 101.

(Sur cette fameuse clause dérogatoire, rappelons qu'en 1988, M. Bouchard, alors à Ottawa, avait pourtant appuyé l'usage de cette même clause par Robert Bourassa suite à un autre jugement de la Cour suprême contre la Loi 101.

Rappelons aussi que la clause dérogatoire est parfaitement légale et constitutionnelle puisqu'elle fait partie des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés.

Et rappelons que cette clause y fut incluse pour une raison majeure que pas mal de monde semble avoir oubliée ou ne pas connaître, soit celle de protéger la souveraineté du pouvoir exécutif et législatif (élu) du pouvoir judiciaire (non élu) lorqu'un parlement évalue qu'un jugement va à l'encontre du bien commun.

De continuer à la présenter comme un épouvantail à moineaux digne d'ameuter une «opinion internationale» avec bien d'autres chats à fouetter, est tout simplement fallacieux. Tout cela témoigne de la méconnaissance inquiétante des élus eux-mêmes de l'importance de la nature réelle d'un mécanisme existant pour préserver leur propre souveraineté lorsque nécessaire.

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En faisant basculer la Loi 101 dans ce concept absurde et arbitraire de «parcours authentique», le gouvernement confirme également qu'au moment où les sondages place le PLQ au 36e dessous, il aura surtout choisi de conforter son électorat non-francophone.

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Ce «concept» trahit aussi une vision fortement individualiste du rapport de forces pourtant clairement collectif et concurrentiel entre le français et l'anglais au Québec comme langue d'intégration des immigrants.

La liste de critères centrés sur le «parcours» de l'enfant et de sa famille témoigne amplement de ce parti-pris évident pour une approche fortement individualiste.

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La seule réponse responsable et cohérente est pourtant d'appliquer la Loi 101 aux écoles privées non subventionnées.

Mais il est surtout vital de s'assurer que si des parents choisissent d'exercer leur «liberté» de payer pour envoyer leur enfant à une école anglaise privée non-subventionnée, cela ne doit sous aucun prétexte créér un nouveau droit, contraire à la Loi 101, en donnant ensuite accès à un certificat d'éligibilité à l'école anglaise subventionnée. Que ce certificat soit ou non obtenu grâce à une grille d'analyse tout aussi absurde qu'arbitraire… et digne en fait de la «maison qui rend fou» dans les Douze Travaux d'Astérix…

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(*) Ce billet est un tantinet longuet, mais l'importance du sujet et des enjeux vaut une analyse et une réflexion un peu plus poussée.

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