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Changer de paradigme?

 

 

Aujourd'hui, à C'est bien meilleur le matin (1), j'avançais que le temps est peut-être venu de songer à changer de paradigme en ce qui concerne le Parti conservateur du Canada (PCC) quant à ses stratégies électorales. Tout comme Stephen Harper semble d'ailleurs l'avoir fait lui-même…

Et ce changement, c'est celui-ci:

Depuis sa première victoire électorale minoritaire en janvier 2006, Stephen Harper et son entourage ont été véritablement obsédés par leur conquête d'une majorité. Ce, pour des raisons évidentes.

Il faut dire qu'en système parlementaire de type britannique, les gouvernements minoritaires sont habituellement l'exception à la règle. Et donc, il est tout à fait normal pour un gouvernement minoritaire de chercher à obtenir une victoire majoritaire dès la prochaine élection.

Et c'est en cet objectif ultime que Stephen Harper aura investi depuis 2006 TOUTES les énergies, TOUTES les ressources, humaines, politiques et financières, de même que TOUTE la rationalité stratégique de la «grosse machine bleue» du PCC. Voir là-dessus ma chronique sur son «clientélisme chirugical» du 17 sept. 2008: http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2008/09/17/le-client-233-lisme-chirurgical.aspx

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Mais après deux victoires minoritaires (2006-2008), et aujourd'hui, face à la faible probabilité d'une victoire majoritaire, Stephen Harper semble en voie de faire son deuil de cette dernière. Du moins, s'il est le moindrement lucide pour ce qui est du court à moyen terme.

Dans le Globe and Mail du 19 juillet dernier, même son ex-conseiller et un des maîtres à penser de la nouvelle droite canadienne, le politologue d'origine américaine Tom Flanagan, notait que «But it seems that the current period of minority government may go on much longer»… En effet!

Même si on peut toujours dire que tout peut arriver en politique -, il reste que dans les faits, au moins quatre facteurs rendent possible une troisième victoire minoritaire du PCC, mais rendent une victoire majoritaire du PCC peu probable:

1) sa propre incapacité, amplement démontrée, à rallier suffisament d'électeurs pour former un gouvernement majoritaire; 2) la résilience du Bloc au Québec; 3) la faiblesse du leadership libéral; 4) le refus de Michael Ignatieff de considérer une coalition ou une alliance plus formelle avec le NPD – seule manière d'«unir» le centre et le centre-gauche face à la droite unie sous Harper.

Par conséquent, les indices s'accumulent à l'effet que ce changement de paradigmeviser de conserver le pouvoir le plus longtemps possible, même comme minoritaire, plutôt qu'une majorité de moins en moins probable -, est en voie de s'opérer au PCC.

Et viser la rétention du pouvoir, même minoritaire, à un moment où une élection automnale ou au printemps prochain est également possible, expliquerait pourquoi on sent monter chez Stephen Harper comme une espèce d'activisme politique dirigé surtout de manière à consolider sa base plus traditionnelle. Mais aussi de manière à l'élargir en tentant de séduire:

1- des électeurs libéraux un peu plus à droite et/ou déçus du leadership de Michael Ignatieff;

2- les éléments plus socialement conservateurs au sein des communautés ethniques et religieuses.

Avec une telle combinaison, le PCC pourrait au moins espérer remporter une troisième victoire minoritaire.

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Cet activisme a d'ailleurs commencé au printemps avec l'annonce de l'initiative dite sur la santé maternelle dans les pays en voie de développement, laquelle excluait le financement d'avortements.

Ça s'est poursuivi avec le G20 et ses 1 090 arrestations, dont la plupart furent arbitraires et ont même amené, entre autres, Amnistie Internationale à réclamer une commission d'enquête publique sur les événements. (Des sondages ont aussi montré qu'une majorité de Canadiens approuvaient les méthodes musclées de la police…)

Puis, vint la nomination de David Johnston comme prochain Gouverneur général. Un homme dont la carrière démontre qu'il peut savoir se montrer plutôt accommodant envers les conservateurs. Très pratique pour un gouvernement en situation minoritaire chronique…

Puis vint aussi la «crise» du recensement.

Voir ma chronique: http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2010/07/21/mon-sondeur-est-riche.aspx

Une forte rumeur court aussi quant à un remaniement ministériel possible, quelque part en août…

Et enfin, le 22 juillet, on apprenait que le gouvernement Harper voudrait également abolir la «discrimination positive» pour les minorités linguistiques et autres dans le processus d'embauche de la fonction publique.

http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-canadienne/201007/22/01-4300482-ottawa-veut-eliminer-la-discrimination-positive.php

Le cabotinage populiste:

Eh bien, impossible de ne pas le remarquer: toutes ces politiques, annonces et choix sociaux, sont de nature clairement très conservatrice…

Ce qui expliquerait aussi les multiples sorties récentes de ministres et députés conservateurs qui, pour expliquer ces décisions controversées, font de plus en plus dans le cabotinage populiste. (Un exemple parmi d'autres: Steven Blaney répétant ad nauseam, et faussement, que si 160 000 Canadiens auraient refusé de remplir le questionnaire long de Statistique Canada, ça ferait beaucoup de monde, ça, en prison! En fait, aucun citoyen du Canada n'a jamais été emprisonné pour avoir refusé de remplir le questionnaire long du recensement.)

Bien sûr, on peut voir dans cet enchaînement récent d'annonces et de politiques ultraconservatrices qu'une simple incompétence crasse. Mais ce serait un peu court…

Et il est possible que, du moins sur la question du recensement, le gouvernement doive éventuellement mettre un peu d'eau dans son vin, mais vraiment un tout petit peu seulement.

Il reste néanmoins que pour l'ensemble de ces annonces, dans la mesure où une victoire majoritaire du PCC semble de toute façon peu probable, il semble bien que le choix de Stephen Harper, comme je le notais au début de ce billet, soit dorénavant d'assumer pleinement la philosophie ultraconservatrice de son parti.

Et, ce faisant, de consolider et élargir quelque peu son bassin d'électeurs acquis et potentiels, du moins, suffisamment pour tenter de remporter un troisième mandat minoritaire. Et comme, de toute façon, il gouverne déjà «en majoritaire» lorsqu'il est minoritaire… aussi bien faire avec…

Une telle stratégie comporte évidemment des éléments de risque. Bouger trop vite et trop à droite pourrait également se retourner contre eux. Mais dans les circonstances que j'expliquais en début de ce billet, c'est peut-être aussi l'option la plus réaliste pour les conservateurs dans la mesure où espérer remporter une majorité est, de toute manière, espérer beaucoup, voire même trop.

Cette option, c'est, dorénavant pour le PCC de s'adresser non pas à la légendaire «majorité silencieuse» – contrairement à ce prétend Maxime Bernier dans La Presse du 23 juillet (2) -, mais plutôt à la «minorité silencieuse». Soit celle, plus à droite, dont le PCC a tant besoin pour rester au pouvoir et appliquer sa vision idéologique.

Et ce, même en situation de gouvernement minoritaire…

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Voici d'ailleurs ce que ce chapelet de positions ultraconservatrices donnait, du moins en date du 22 juillet, dans un sondage Ekos-CBC:

PCC: 32,4%

PLC: 25,5%

NPD: 18,4%

Eh oui. Malgré cela, pour le moment, le PLC n'est encore qu'à 25,5% d'appuis.

En 2008, le PCC avait reçu 37,7% des voix et 36,3% en 2006.

On voit donc que les conservateurs ont encore une pente à remonter, même pour conserver une minorité suffisante pour gouverner.

Toutefois, comme vous le voyez, cette côte est encore plus haute à remonter pour les Libéraux d'Ignatieff…

Mais, comme dit l'autre, le «vrai sondage, il se passe le soir des élections»…

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(1) http://www.radio-canada.ca/emissions/cest_bien_meilleur_le_matin/2009-2010/chronique.asp?idChronique=115610

(2)http://www.cyberpresse.ca/place-publique/opinions/la-presse/201007/22/01-4300535-des-questions-importunes.php