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Écoles passerelles: le vrai problème

Ce mercredi, la Commission parlementaire de la culture et de l'éducation a débuté ses audiences publiques sur le très controversé projet de loi 103, lequel propose d'officialiser et d'encadrer la possibilité pour des enfants francophones et allophones de passer par des écoles anglaises privées non subventionnées, dites «passerelles», pour demander ensuite au ministère de l'Éducation un «certificat d'éligibilité» conférant le droit de s'inscrire à une école anglaise subventionnée, privée ou publique.

Et le gouvernement propose de le faire en appliquant le jugement de la Cour suprême rendu sur le même sujet à l'automne 2009. Par conséquent, il refuse d'utiliser la clause dérogatoire pour étendre la Loi 101 aux écoles anglaises privées non subventionnées et donc, d'assurer, tel que l'entendait la Loi 101 originelle, que les enfants francophones et allophones fréquentent l'école primaire et secondaire de langue française.

Voir: http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201009/06/01-4312989-enseignement-en-anglais-st-pierre-veut-proteger-limage-du-quebec-a-letranger.php

Bref, en tout respect pour la ministre responsable de la Charte de la langue française, le fait est qu'elle joue sur les mots lorsqu'elle déclare dans cette entrevue que le gouvernement Charest «interdit les écoles-passerelles, on interdit qu'une école se lance dans ce genre de business et on ferme le plus possible le robinet».

Car il n'«interdit» pas les écoles passerelles comme tel. Le projet de loi 103 propose plutôt d'en baliser l'usage par les parents francophones et allophones. Et ce, en suivant les directives de la Cour suprême dans un jugement proprement kafkaïen.

«Kafkaïen» parce que la Cour y a concocté le concept farfelu de «parcours authentique» de l'élève comme devant servir de «grille d'analyse» devant présumément permettre au ministère de décider si l'enfant aura ou non ensuite le droit de passer à une école anglaise subventionnée par les contribuables. Ce qui, en effet, avalise la possibilité d'«acheter» un droit constitutionnel.

Le vrai problème:

Ce qui nous amène au coeur du problème. Car pendant que la ministre répète son dégoût pour la clause dérogatoire sur toutes les tribunes, elle ne parle pas du vrai problème et donc, du véritable objectif que tout gouvernement responsable dans ce dossier viserait à atteindre en appliquant le moyen nécessaire pour le faire.

Et ce vrai problème est le suivant: contrairement à ce que propose le projet de loi 103, le passage onéreux d'un enfant par une école privée anglaise non subventionnée ne devrait PAS permettre aux parents francophones et allophones de s'en servir par la suite pour présenter une demande au ministère dans le but de tenter d'obtenir pour cet enfant un certificat d'éligibilité (*) lui donnant droit à l'avenir de fréquenter une école anglaise subventionnée, qu'elle soit privée ou publique. Ce qui, dans les faits, revient à ACHETER un droit constitutionnel.

Un point, c'est tout.

(*) N'oublions pas que ce certificat d'éligibilité, une fois acquis, s'applique à l'enfant, ses frères et soeurs ainsi qu'à tous leurs futurs descendants.

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Robert Bourassa, un «radical»?

Mais pour la ministre Christine St-Pierre, tout recours à la clause dérogatoire pour protéger la Loi 101 de l'absurdité évidente du jugement de la Cour suprême serait une solution trop «radicale» et susceptible d'entacher l'image du Québec à l'étranger (1)….

(En passant, même le tout sauf «radical» Conseil supérieur de la langue française recommande d'appliquer la Loi 101 aux écoles privées non subventionnées.)

Radical? Vraiment?

Robert Bourassa y a pourtant eu recours en 1988 pour protéger la Loi 101 d'un jugement de la Cour suprême sur l'affichage commercial.

Robert Bourassa, un «radical»? Soyons sérieux…

Appliquer une clause parfaitement constitutionnelle, légitime et légale serait «radical»? Vivement un cours de science politique 101 pour la ministre et ses collègues du cabinet.

Car s'il est vrai qu'en 1993, suite à un avis émis par le comité des droits de l'Homme de l'ONU, M. Bourassa avait bel et bien refusé de reconduire la clause dérogatoire pour un autre cinq ans d'application, ce n'était pas parce qu'il craignait l'ire de l'opinion internationale. Il ne l'avait pas crainte en 1988, ni en 1989, ni en 1990, ni en 1991, ni en 1992.

(Pour avoir longuement étudié le sujet à l'époque, j'avancerais plutôt que la vraie raison de ce refus était celle-ci: puisqu'il faut reconduire la clause dérogatoire tous les cinq ans, cet avis du comité des droits de l'Homme tombait à point, politiquement, pour le gouvernement Bourassa. En fait, il allait lui servir de prétexte parfait pour permettre aux Libéraux de renverser l'effet d'une décision qui, en 1988, leur avait coûté cher au sein de la communauté anglo-québécoise. Ce prix payé incluait la démission fracassante en 1988 de trois ministres anglophones: Herbert Marx, Richard French et Clifford Lincoln. De même que la création du Parti égalité, lequel remporterait quatre sièges à l'élection de 1989.)

Aujourd'hui, la ministre St-Pierre défend également la position de son gouvernement en arguant que le PQ, lorsqu'il était au pouvoir, n'a pas voulu recourir à la clause dérogatoire non plus.

Ce refus est un fait. En novembre 1996, Lucien Bouchard, alors premier ministre et chef du PQ, avait refusé d'y avoir recours pour rétablir les articles originels de la Loi 101 sur l'affichage commercial invalidés par la Cour suprême en 1988.

Monsieur Bouchard, on s'en souviendra, avait déclaré qu'il ne serait plus capable de «se regarder dans le miroir» si son parti l'obligeait à le faire…

Mais invoquer cet épisode, c'est ce qui s'appelle se réclamer de l'inaction d'un gouvernement passé pour justifier celle du gouvernement actuel…

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Sur la question linguistique, voir aussi cette étude toute fraîche de l'Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA) confirmant ce dont on se doutait fortement. Soit que les étudiants francophones et allophones qui optent pour un cégep de langue anglaise risquent conséquemment de travailler plus tard surtout en anglais et de consommer de moins en moins de «produits culturels» de langue française.

Un phénomène que le critique péquiste, Pierre Curzi, qualifie avec justesse de «transfert culturel».

Voir: http://www.vigile.net/Faire-son-cegep-en-anglais-et

Pour lire l'étude: http://irfa.ca/n/sites/irfa.ca/files/analyse_irfa_SEPTEMBRE2010A_5.pdf

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Pour mieux comprendre la problématique de cette fameuse clause dérogatoire, voir mon billet du 10 mars 2010:  http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2010/03/10/d-233-roger-ou-ne-pas-d-233-roger.aspx

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Pour les transcriptions des travaux de la Commission:

http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cce-39-1/journal-debats/CCE-100908.html

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Et enfin, comme cadeau, voici un extrait de la présentation faite aujourd'hui à la Commission par Charles Castonguay de l'Université d'Ottawa, mathématicien et spécialiste renommé des questions relatives aux transferts linguistiques et à l'assimilation:

«L'anglais a l'air d'avoir le vent dans les voiles. L'avantage, à mon sens, est à l'anglais. La Loi 101, c'est de la bien petite bière. (…) Ça fait dans les fleurs du tapis. Et c'est comme ça qu'on va se faire manger la laine sur le dos (…) En allant dans les petits détails, en aménagements, en accommodements… Il faut s'affirmer. Il faut rendre le peuple québécois fier d'être français. Il faut un leadership politique qui se tient debout face à Ottawa et qui dit «ça suffit la Cour suprême!». Ça suffit votre Charte. Est-ce qu'on va se parler? Est-ce qu'on va négocier une nouvelle entente de façon à ce que les deux côtés soient satisfaits et qu'on ait un avenir ensemble? Faudrait le faire, ça. Et ça ne s'est pas fait. Je ne lance pas la pierre au Parti libéral. Je peux la lancer tout aussi bien au Parti québécois. (…) Pour l'absence de leadership des dix ou quinze dernières années. Ouf. Je vois la solution ailleurs que dans ces vétilles-là. C'est dans les grandes lignes qu'il faut redéfinir notre vision de ce qu'on veut que le Québec soit dans l'avenir. Excusez-moi, donc, j'ai perdu patience quand j'ai consulté sur le site le projet de loi (103). J'ai commencé à lire ça. C'est de l'avocasserie.»

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(1) Voici ce qu'en disait aussi Louis Bernard, ex-candidat à la chefferie du PQ & chef de cabinet sous René Lévesque: http://fr.canoe.ca/infos/quebeccanada/archives/2010/09/20100908-200859.html

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@Photo: http://www.cyberpresse.ca/images/bizphotos/435×290/200902/05/45787.jpg