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De quelle «victime» Jean Charest parle-t-il au juste?

Ce dimanche, lors de son point de presse tenu à la fin d'un conseil général du PLQ aux allures proprement suréalistes, Jean Charest a tenté très, très fort de faire porter l'attention sur les propos peu édifiants de Gérald Deltell, chef de l'ADQ, selon lequel le premier ministre serait un «parrain» pour la grande «famille» libérale. Voir: http://www.ledevoir.com/politique/quebec/310958/conseil-general-du-plq-tout-debat-sur-une-commission-d-enquete-est-ecarte

À une journaliste lui demandant fort pertinemment si, en bout de piste, le discours politique au Québec ne «dérapait» pas en partie parce qu'il refuse toujours de tenir une enquête publique «que tout le monde réclame, finalement, même un militant chez-vous» (1), le premier ministre a eu une réponse tout à fait étonnante: «je regrette infiniment cette équivalence qui est fait /sic/ dans le raisonnement de blâmer la victime pour les gestes qui sont posés par les gens qui font ces choses-là et qui ensuite, blâment leur victime.»

C'est donc ici la deuxième fois en une semaine où le premier ministre, en quelque sorte, se positionne en «victime» du vocabulaire tenu par les partis d'opposition. Question, on s'en doute bien, de tenter de continuer à esquiver les allégations de plus en plus nombreuses et troublantes sur l'industrie de la construction, le crime organisé et le processus d'octroi de contrats gouvernementaux et en disant s'en remettre totalement à la «police»,

L'autre fois, c'était plus tôt cette semaine. Un député péquiste, face au refus du gouvernement de tenir cette commission d'enquête réclamée depuis un an et demi par 80% de la population, l'avait qualifié de «complice» du crime organisé. Le lendemain, M. Charest avait accusé Pauline Marois de «nuire» aux institutions québécoises. Et que, ce faisant, le PQ s'exposait à de «graves conséquences»…

Et pourtant, et pourtant…

Comme je l'écrivais ce vendredi dans The Gazette (2), la question ici est claire, nette et précise: au moment où le gouvernement s'apprête à dépenser en projets d'infrastructure de toutes sortes plus de 40 milliards de dollars en fonds publics, les Québécois n'ont tout simplement pas les moyens, dans tous les sens de l'expression, d'«attendre» docilement le dénouement d'enquêtes policières risquant s'étendre sur plusieurs années et ce, sans aucune garantie de résultats.

De toute évidence, les contribuables ne peuvent risquer ces années d'attente en soupçonnant que possiblement des dizaines et peut-être des centaines de millions de dollars de leurs impôts et de leurs taxes, finissent par être détournés par de mauvaises mains…

D'où l'urgence, politique ET financière, de tenir cette commission d'enquête pour y voir clair pour pouvoir ensuite AGIR en conséquence.

C'est pourquoi, dès qu'il se contente des enquêtes policières, le premier ministre fait fi de sa proche responsabilité en oubliant qu'en démocratie, ce sont les gouvernements qui sont élus pour gérer l'argent des contribuables, et non la police…

Et, tristement, en tenant de se présenter en «victime» des mots durs utilisés à son endroit par les partis d'opposition, le premier ministre se montre également déterminé à continuer d'ignorer la demande insistante de 80% des Québécois pour une enquête publique et indépendante.

À cet égard, voir le PLQ refuser même de «permettre» ne serait-ce qu'un semblant de débat sur cette question à son propre conseil général ne fera rien non plus pour rassurer la population.

Quelle ironie, dans les faits, de voir le chef de l'ADQ traiter le premier ministre de «parrain» au même moment où le Parti libéral impose la «loi du silence» dans ses propres instances…

Surtout, bien des Québécois verront que braquer les projecteurs sur le «vocabulaire» de ses adversaires – même lorsque certains qualificatifs témoignent d'un certain dérapage -, c'est tenter de ramener l'attention au «contenant» plutôt qu'au «contenu». Question de tenter de faire diversion.

Or, les contribuables, eux, se préoccupent nettement plus du «contenu», à savoir quelle quantité de leurs impôts risque de continuer à être dilapidée et détournée et ce, jusque dans les coffres du crime organisé?

Car n'est-ce pas eux, en bout de piste, les véritables «victimes» dans toute cette saga des «3 C» – collusion, corruption, construction?

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(1) http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201011/14/01-4342558-le-liberal-martin-drapeau-craint-des-represailles-du-milieu-de-la-construction.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B42_acc-manchettes-dimanche_369233_accueil_POS2

(2) http://www.montrealgazette.com/news/Charest+ducks+weaves+construction+probe/3816276/story.html

@ Caricature: Garnotte, 12 nov. 2010, Le Devoir.