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Couper les vivres à l’opposition

 

 

@ En voulant couper les vivres aux partis d'opposition, Stephen Harper dit en quelque sorte aux Canadiens: «L'État, c'est moi»….

«Sabrer les subventions publiques aux partis politiques, comme promet de le faire Stephen Harper s'il est élu à la tête d'un gouvernement majoritaire, brisera le fragile équilibre entre argent et politique au Canada et sera dommageable pour la démocratie.

Ce ne sont pas, cette fois, les partis de l'opposition qui le disent, mais l'ancien président d'Élections Canada Jean-Pierre Kingsley (…) Selon Jean-Pierre Kingsley, l'argument évoqué par Stephen Harper est fictif, puisque l'État finance autrement les partis. (…) Le changement promis par M. Harper «coupera les pattes aux petits partis». Quant aux plus gros, ils trouveront d'autres sources de revenus, ce qui pourrait les inciter à contourner la loi, prévient M. Kingsley.»

Extrait de: http://www.cyberpresse.ca/actualites/elections-federales/201104/05/01-4386526-lex-president-delections-canada-critique-le-chef-conservateur.php

Donc, selon l'ex-président d'Élections Canada, la promesse de Stephen Harper de mettre fin aux subventions publiques directes aux partis serait dangereux pour la démocratie canadienne; avantagerait le Parti conservateur, entres autres choses, grâce aux subventions indirectes (crédit d'impôt, etc…); et enfin, et surtout, ouvrirait la porte à la corruption…

En effet.

C'est d'ailleurs là précisément la même analyse que je faisais dans ma chronique du 19 janvier dernier et intitulée «La dernière étape». À laquelle j'ajoutais aussi cette autre conséquence majeure: «ce serait également asséner un coup financier très dur à tout ce qui bouge idéologiquement à Ottawa au centre et au centre-gauche»…

Voici donc, in extenso, la chronique en question:

 

 

 

LA DERNIÈRE ÉTAPE

Les conservateurs sont à plus ou moins 14 sièges de sabler le champagne d'une victoire majoritaire.

Qu'il y ait ou non une élection générale ce printemps, c'est dans ce contexte qu'il faut comprendre le ton particulièrement négatif de leur campagne de publicités (1).

La question est donc sur de nombreuses lèvres: que ferait Stephen Harper avec une majorité?

Sacrée bonne question, mais à laquelle le premier ministre ne répond qu'au compte-gouttes. Le 18 janvier, en entrevue avec Peter Mansbridge, il se disait favorable à la peine de mort dans "certaines circonstances", mais disait ne pas vouloir soulever la question dans le "prochain" parlement…

Par contre, sur le sujet des subventions publiques directes aux partis politiques, il est clair comme de l'eau de roche.

Il promet que s'il venait à diriger un gouvernement majoritaire, il les éliminera. Point à la ligne. Bye-bye! Il ne permettrait que les déductions d'impôt pour les dons faits par des particuliers. Ce qui, par hasard, favoriserait en partant le Parti conservateur…

Bref, dans sa quête entêtée pour affaiblir le NPD et le Bloc tout en tentant de retirer au Parti libéral son statut de "natural governing party" du Canada, appelons ça, si vous voulez, la dernière étape.

(Cette intention formulée en 2008, alors qu'il était toujours minoritaire, avait déclenché une crise politique, la création de la coalition PLC-NPD et la prorogation du Parlement. C'est dire l'importance de la chose.)

Voici comment Harper s'en expliquait cette semaine dans une entrevue fort amicale avec Mario Dumont: "Nous pensons que les partis politiques doivent être payés [sic] par leurs militants, leurs supporteurs."

Et le PM de poursuivre: "Il y a déjà, Mario (…) un support fiscal très important pour les partis politiques. (…) Mais les autres partis favorisent des subventions, libres comme ça, gratuites, comme ça, pour eux."

Hormis le populisme racoleur de l'argument, ne vous méprenez pas: l'homme est sérieux.

Il rêve de ce geste radical et antidémocratique depuis longtemps. Et il le fera si le destin lui donne un jour une majorité en Chambre.

Comme ces grands mannequins qui se targuent de ne pas trouver la beauté importante, Harper, dont les coffres du parti débordent, se permet de faire la morale à des partis d'opposition nettement moins riches.

Mais devinez qui profiterait le plus d'une telle politique?

Prenez 2009 (2). Le PCC recevait la rondelette somme de 17,1 millions de dollars de 101 000 donateurs. Le PLC: 12,5 millions de 37 500 citoyens. Le NPD: 7,4 millions de 23 700 Canadiens. Le Bloc: 889 000 $ de 6000 Québécois.

Quant aux subventions – celles que Harper voudrait éliminer -, en 2010, le PCC en avait pour 10,4 millions, le PLC pour 7,2 millions, le NPD pour 5 millions et le Bloc, pour 2,7 millions.

Les partis d'opposition en sortiraient donc nettement désavantagés.

Une machine à ramasser de l'argent

C'est clair. Le Parti conservateur, même minoritaire, collecte beaucoup plus d'argent de beaucoup plus de donateurs.

L'an dernier, un ancien président du PLQ déclarait que sous Jean Charest, il était devenu une "machine à ramasser de l'argent"! Eh bien, il aurait pu dire la même chose du parti de Harper, lequel profite aussi de la générosité des membres de moult petits groupes d'intérets d'affaires, religieux ou issus de communautés culturelles.

Tout ce beau monde, ça commence à faire beaucoup d'argent.

À l'opposé, le Parti libéral continue de souffrir de sa collision avec l'iceberg de la commission Gomery. Sans compter les changements imposés par Jean Chrétien au financement des partis, dont la fin des dons de compagnies et de toute personne "morale". Les libéraux n'ont jamais su s'adapter.

Là n'est toutefois pas la seule raison de leurs problèmes financiers. De fait, la plupart des partis souffrent de l'impact financier de leur propre "offre de service" décevante auprès de l'électorat.

D'où, aussi, la difficulté de plusieurs partis à séduire les "petits donateurs" de la classe moyenne.

Que voulez-vous? On la laisse crouler sous les hausses régressives de tarifs et de frais de toutes sortes pendant qu'on diminue la qualité des services publics et baisse les impôts de ceux qui ont les moyens de s'en passer… et elle serait tentée de donner?

Il est là, aussi, le succès financier des conservateurs: réussir à faire croire à une partie de la classe moyenne qu'ils s'occupent de ses intérêts…

Ouvrir la porte à la corruption?

Couper les subventions aux partis, ce serait également asséner un coup financier très dur à tout ce qui bouge idéologiquement à Ottawa au centre et au centre-gauche…

En affamant le PLC, ce serait aussi risquer un retour à des pratiques plus occultes, ne serait-ce que par pur instinct de survie.

Pourtant, pendant ce temps, au Québec, on discute de plus en plus de la nécessité d'en arriver un jour à un financement complètement public.

Question, tenez, de réduire le plus possible la corruption et le copinage liés au financement des partis… tout en assurant une certaine équité entre ceux-ci…

Source: http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2011/01/19/la-derni-232-re-233-tape.aspx