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Une cour suprêmement conservatrice?

         

Fort maintenant de sa majorité combinée au Parlement et au Sénat, le très conservateur Stephen Harper se voit maintenant offrir sur un plateau d'argent la nomination de deux juges de la Cour suprême (CS)…

Car si depuis sa prise du pouvoir en 2006, le premier ministre a pu déjà nommer des juges à la plus haute cour du pays, maintenant qu'il est majoritaire, force est de s'attendre qu'il s'assurera de nommer des juges qui feront pencher la «balance» de la Cour suprême encore plus à droite (1)…

Et ce, incluant possiblement les questions sociales plus controversées.

D'autant plus que d'ici la prochaine élection générale, prévue pour 2015, on s'attend à ce que d'autres juges de la CS prennent aussi leur retraite.

                  

Ceux qui m'ont auront lue depuis mes premières chroniques signées dans les pages du Devoir dans les années 1990 connaissent sûrement mes analyses critiques du pouvoir croissant des juges non élus au Canada – spécifiquement, ceux des cours supérieures, d'appel et suprême (et tous nommés par le premier ministre fédéral) -, depuis l'adoption de la Charte canadienne des droits en 1982.

Le corollaire étant que les élus, eux, ont eu de plus en plus tendance à se délester de leurs propres responsabilités et de leurs propres processus de prises de décision au profit des cours supérieures, d'appel et suprême…

En science politique, c'est ce que nous avons nommé le «gouvernement des juges»… ou la «judiciarisation du politique»… ou, encore… la «politisation du judiciaire»… C'est selon.

Voici d'ailleurs comment l'ancien juge en chef de la CS lui-même, Antonio Lamer, décrivait cette révolution politico-judiciaire dans La Presse du 11 avril 1992 («Quand les juges font le procès du Parlement»):

«En 1982, on a élargi le pouvoir de déclarer les lois inconstitutionnelles de façon notoire. (…) C'est une activité à laquelle les juges n'ont pas été formés. De fait, on a été formés à faire exactement le contraire! Ce qui nous était bien interdit nous est maintenant commandé par la Charte (canadienne).»

Au Québec, la Loi 101, entre autres, en fut littéralement charcutée au fil des ans… un aspect tout à fait fondamental du «travail» de la Cour suprême que j'avais également analysé en profondeur lors de mes études et de mes publications universitaires en science politique.

En 1992, le juriste Michael Mandel rédigeait d'ailleurs un ouvrage brillant sur le sujet: «The Charter of Rights and the Legalization of Politics in Canada» (Toronto, Thomson Educational Publishing Inc.).

Bref, depuis 1982, la nomination des juges par le premier ministre fédéral aux cours supérieures, d'appel et surtout à la Cour suprême (puisqu'elle est LA cour de dernier appel au Canada) influe considérablement sur la gouvernance même du pays, mais aussi des provinces. Et ce, jusqu'à s'immiscer directement dans la politique linguistique du Québec…

Ce matin, Marc Laurendeau faisait état d'un ouvrage tout récent sur cette même Cour suprême et son pouvoir de plus en plus important et marquant au pays: «Mighty Judgment: How the Supreme Court of Canada Runs Your Life» de Philip Slayton (Penguin Books): http://www.radio-canada.ca/emissions/cest_bien_meilleur_le_matin/2010-2011/chronique.asp?idChronique=153089

http://www.mightyjudgment.ca/

Parions que Stephen Harper l'a probablement déjà lu d'un couvert à l'autre…

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(1) http://www.theglobeandmail.com/news/national/the-coming-conservative-court/article2022139/

@ Photo: Cour suprême.