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Le PQ en crise (suite)

 

 

 

Donc, tel que promis, on reprend ça du début…

Dans mon billet de dimanche après-midi, je prévoyais des dommages collatéraux majeurs au PQ dans l'«affaire» de l'amphithéâtre ou du projet de loi privé 204 – non pas en soi seule, mais comme la «proverbiale goutte qui fait déborder le vase». L'expression fut d'ailleurs utilisée ce matin par Lisette Lapointe.

En quelque sorte, dès lundi matin, ce billet a pris tout son sens: http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2011/06/05/amphith-233-226-tre-et-dommages-collat-233-raux.aspx

Et, en effet, c'est ce qui s'est produit ce lundi matin avec la démission-choc des députés Lisette Lapointe, Pierre Curzi et Louise Beaudoin – trois grosses pointures du caucus péquiste (1).

Pour ce qui est de Pierre Curzi, non sans ironie, avec Amir Khadir, il demeure un des politiciens les plus populaires et les plus appréciés des Québécois…. Et ce essentiellement pour les mêmes raisons, soit une combinaison d'authenticité et d'une redoutable capacité à exprimer les besoins et les attentes de nombreux citoyens.

Quant à Louise Beaudouin, si, comme elle l'a si bien dit, son «avenir politique» est derrière elle. Certes, mais elle emporte tout de même avec elle toute une brochette de liens privilégiés entre le PQ et une partie de la classe politique française.

Enfin, le départ de Mme Lapointe signale rien de moins que la désapprobation finale de Jacques Parizeau face au manque de clarté de la «gouvernance souverainiste» de Pauline Marois et à l'abandon du cheval de bataille de la transparence dans l'octroi des contrats publics dans le cas du projet de loi privé 204. Un cheval de bataille nommé «éthique».

Mais surtout, la branche politique que le PQ avait réussi à occuper à nouveau. Du moins, avant que Mme Marois ne vienne la scier en appuyant inconditionnellement tout ce que le maire Régis Labeaume désirait comme faveurs spéciales dans toute cette saga de l'amphithéâtre…

Le tout, dans l'espoir d'en récolter une manne de votes dans la Capitale-nationale… 

Or, en accompagnant très publiquement son épouse au moment de sa démission, M. Parizeau posait un geste à la symbolique qui n'allait pas sans rappeler le souvenir de sa propre démission fracassante, aux côtés d'autres ministres de l'époque, pour signifier son désaccord le plus total avec le «beau risque» fédéraliste que prenait alors un René Lévesque en fin de règne.

Certes à une autre échelle, il reste néanmoins que les démissions de ce 6 juin 2011 sont tout autant le révélateur d'une crise de leadership au Parti québécois.

Depuis plus d'un an, l'ancien premier ministre et chef du PQ avait pourtant laissé tomber publiquement de nombreux indices quant à son désaccord avec l'approche de la chef actuelle sur le fond des choses et le danger de l'obsession du pouvoir pour le pouvoir… Ce qu'il fit d'ailleurs en entrevue avec le Globe and Mail et plus tard, avec Radio-Canada.

On ne s'en sort pas. Le leadership de Mme Marois vient d'être sérieusement ébranlé.

Question: au cours des prochains jours, semaines et mois, y aura-t-il ou non d'autres défections?

Déjà que le député Claude Cousineau (2) demande, quant à lui, un vote libre sur le projet de loi privé 204. D'autres parleront mardi après leur caucus spécial.

Bref, d'autres dominos tomberont-ils?

Or, avec ou sans autres dominos, il reste qu'après la quasi disparition du Bloc le 2 mai dernier, l'arrivée possible d'un François Legault d'ici 2012 et maintenant, la démission fracassante du trio de députés, c'est à se demander jusqu'où les plaques tectoniques de la politique québécoise se déplaceront-elles d'ici la prochaine élection générale?

D'autant plus qu'en réaction, Mme Marois, plutôt que de tendre la main aux démissionnaires dans le but de reconstruire les ponts, a choisi de les blâmer directement en les accusant de faire le jeu des Libéraux tout en faisant reculer la cause de la souveraineté…

Lorsqu'on songe avec quelle délicatesse Mme Marois traite les sorties d'un François Legault dont l'ambition de devenir premier ministre à sa place crève pourtant les écrans, il y a lieu de s'étonner de sa dureté envers trois députés aussi importants de son propre caucus.

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Ce qui nous amène aux facteurs qui ont déclenché cette crise dans les rangs du PQ.

En fait, quelques citations tirées de leur conférence de presse les résument à elles seules.

Ceux et celles qui me lisent y reconnaîtront peut-être certains des thèmes et des préoccupations que j'ai développés moi-même dans mes analyses au cours des dernières années. Des thèmes sur lesquels d'autres intellectuels et analystes se penchent tout autant à travers des sociétés occidentales où LE et LA politique reculent de plus en plus…

Ces thèmes sont un certain déclin de la démocratie, la déconnexion croissante entre la classe politique dominante et les attentes des citoyens dans plusieurs dossiers. Le tout menant à la montée évidente d'un cynisme et d'une colère nourris par un puissant sentiment d'impuissance face à une classe politique de plus en plus sourde, muette, aveugle et souvent occupée à répondre à des intérêts privés au détriment du bien public.

Encore une fois, le Québec étant loin d'avoir le monopole de cette problématique…

Bref, les trois députés démissionnaires soulèvent de véritables questions de fond qui, tout en interpelant le Parti québécois, le transcendent aussi en s'adressant dans les faits à la classe politique dans son ensemble. Incluant, donc, à eux-mêmes.

Avouons que ça n'arrive pas tous les jours par le temps qui courent… Que ce soit au Québec ou dans le reste du Canada…

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Mais qu'on ne s'y trompe pas. Au-delà de toutes les citations des trois députés faisant état d'un malaise démocratique ambiant et généralisé… la citation suivante offre le résumé le plus percutant parce que le plus clair, le plus authentique et le plus précis dans son diagnostic de ce qui a véritablement provoqué cette crise.

Cette citation est celle de Lisette Lapointe. Comme pour des poupées russes, chaque problème décrit en cache un autre et y mène tout à la fois:

«C'est donc avec beaucoup de tristesse que je me retire aujourd'hui du caucus du Parti québécois. Je le fais parce que je ne m'y reconnais plus, parce que je ne m'y sens plus à ma place. Je le fais aussi parce que j'ai la pénible impression que nous nous éloignons de la souveraineté et même du pouvoir qui paraissait si proche. (…) Le Parti québécois que je quitte, c'est celui de l'autorité outrancière d'une direction obsédée par le pouvoir. L'atmosphère est devenue irrespirable.»

Puis, ceci: «Depuis un certain temps déjà, en effet, je suis très mal à l'aise avec certaines orientations et positions prises par la direction du parti et avec la façon dont elles nous sont imposées. Un bel exemple est le projet de loi Maltais-Labeaume. Je dirais que c'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Aucune consultation, aucun préavis au caucus des députés. Je l'ai appris par la radio. L'idée de retirer un droit de recours à un citoyen va à l'encontre de mes convictions. D'ailleurs, de nombreux citoyens, et vous le voyez ici, de nombreux citoyens m'ont dit leur désaccord et même, dans certains cas, leur colère.»

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Louise Beaudoin sur le projet de loi privé: «Mais ceci est conjoncturel mais révélateur d'une certaine manière de faire de la politique, et c'est pourquoi la cause plus profonde de ma démission concerne justement une certaine façon de faire de la politique à laquelle, je le reconnais, j'ai longtemps adhéré. Mais c'est à mon retour en 2008, peut-être parce qu'une pause de cinq ans m'a permis de voir les choses autrement, que j'ai commencé à m'interroger sur la partisanerie qui souvent rend aveugle, qui nous force à toujours être dans la certitude, jamais dans le doute, sur le ton guerrier que l'on se croit obligés d'employer, sur la manière de se comporter avec des adversaires que l'on a tendance à considérer comme des ennemis, sur l'unanimisme imposé et sur la rigidité implacable de la ligne de parti: des maux dont la politique, je crois, est en train de mourir ici et ailleurs. Des maux, m-a-u-x, maux. (J'en suis venue à la conclusion que cette façon de faire alimentait le cynisme d'une population de plus en plus critique vis-à-vis de la classe politique et que, pour vivre les choses autrement, il valait mieux que je quitte mon parti. La souveraineté se réalisera grâce à la réappropriation par la population des raisons profondes identitaires, culturelles, économiques et sociales de la mener à bien. Pour y arriver, c'est ma conviction, il faut changer la politique, la transformer

Pierre Curzi: «Dans le cas du projet de loi numéro… privé, 204, parrainé par Mme Maltais, la décision a été prise par la chef sans consultation aucune du caucus, sinon de ses proches collaborateurs. C'est son privilège. Cependant, cette décision va à l'encontre d'un principe fondamental de la vie démocratique qui permet à tout citoyen de contester, y compris devant les tribunaux, une décision gouvernementale.(…) Mon seuil de tolérance éthique personnel a été atteint. Je respecte mes collègues parlementaires qui pensent autrement. (…) Ce récent épisode de notre vie parlementaire a heurté de front cette valeur première et est un puissant révélateur de la distance qui s'est installée entre les partis politiques du Québec et les citoyens. (…)

Il fut également question de l'électoralisme derrière le projet de loi 204… Lisette Lapointe: «Alors, personnellement, je… je pense que le geste que je pose, parce que je ne peux pas parler au nom de mes collègues, va certainement faire en sorte que des députés disent: Écoutez, on va faire de la politique, maintenant, autrement, pas de clientélisme, s'il vous plaît, pas, pour gagner deux, trois votes, prendre des positions avec lesquelles une majorité… ou enfin une grande proportion du caucus est inconfortable. Voilà.»

Sur l'absence de clarté dans le plan de match du PQ quant à son option… Lisette Lapointe: «Je vous rappellerai simplement, parce que c'est sûr que vous l'avez en tête, la saga de… quand j'ai voulu renforcer l'article 1. Au début, il y avait une ouverture de la part de Marois, et tout à coup les portes se sont… se sont fermées, hein? On ne pouvait même plus discuter dans un congrès sur un nouveau programme de parti. Est-ce qu'on pouvait ajouter une dimension sur la préparation de la… de la souveraineté? C'est un exemple. Il y en a plein d'autres comme ça.

Ici, Pierre Curzi parle de cette déconnexion de la classe politique des besoins des citoyens: «j'ai été, moi, personnellement, très, très bouleversé de voir que ce qu'on appelle la politique, la mobilisation, ça se passait réellement à l'occasion, par exemple, des gaz de schiste. Tout à coup, on voit qu'il y a une mobilisation citoyenne majeure et là on se rend compte que ça, ce… cette mobilisation-là, elle n'est pas entendue par le Parti libéral, elle n'est pas entendue; on se rend compte qu'il y a une mobilisation majeure pour qu'on fasse le ménage au Québec, et ce n'est pas entendu; et là on se rend compte que le pouvoir politique, les partis politiques, dans leur façon de fonctionner d'une manière traditionnelle, s'éloignent de plus en plus de ce que les gens disent et souhaitent, et donc ils demandent qu'on soit… non seulement qu'on ait une liberté de parole, mais qu'on affirme des principes et qu'on respecte ces principes-là. Et voilà que le parti dans lequel on est, pour une raison qui n'est vraiment pas majeure et avec laquelle on est d'accord – on veut des Nordiques, je suis d'accord avec l'amphithéâtre, le financement public, je suis d'accord avec Quebecor Média – tout d'un coup, pour des raisons électorales, on est prêt à bafouer un principe qui touche exactement l'enjeu dont on parle, c'est-à-dire la mobilisation citoyenne, le discours citoyen.»

Puis, sur les conséquences politiques de leur geste… Pierre Curzi: «Moi, je ne peux pas croire que nous soyons en train de détruire ce parti-là et détruire cette cause-là. Mais on est en train de le questionner d'une façon inhabituelle peut-être ou peut-être habituelle, je ne le sais pas, mais on le questionne. Mais on ne questionne pas juste notre parti, on questionne l'ensemble des institutions actuellement.»

Et encore, cette citation de Louise Beaudoin faite sur mesure pour une réflexion que devrait aussi s'étendre à des médias, ici et ailleurs, de plus en plus préoccupés par l'immédiateté des choses et de moins en moins par leur analyse en profondeur: «la pensée complexe dans le populisme ambiant était difficile à exprimer puis à… à faire traverser dans les médias. Mais c'est exactement, là, je pense que, si on reprend exactement ce que Pierre vient de dire, que ça rejoint ma pensée profonde aussi. C'est un peu complexe, mais c'est ça la réalité.»

Complexe? Oui, en effet.

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Sur ce, je vous reviens sur le sujet dans ma chronique régulière mise en ligne le mercredi et en kiosque, le jeudi….

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(1) Pour lire la transcription complète de la conférence de presse: http://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/conferences-points-presse/ConferencePointPresse-7429.html

(2) Voici un extrait du communiqué de presse émis ce 6 juin par le bureau du député Claude Cousineau: «Le député de Bertrand, M. Claude Cousineau, annonce aujourd'hui qu'il est en accord avec les opposants au projet de loi 204.« Comme la majorité de mes collègues députés du Parti Québécois, je suis en accord avec la construction d'un amphithéâtre à Québec et le retour des Nordiques, mais je suis contre l'adoption du projet de loi privé 204 », a déclaré le député.

« Je ne peux être d'accord avec l'idée de soustraire des droits de contestation à des citoyens. Rappelons-nous qu'il y a moins d'un an nous avons légiféré pour que les municipalités du Québec se dotent d'un code d'éthique et qu'elles produisent et déposent au ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire les processus d'appels d'offres pour tout contrats ou ententes. Le projet de loi qui est devant nous va à l'encontre de ces principes et je ne peux donc l'endosser », a ajouté Claude Cousineau.

De plus, le député s'est dit extrêmement déçu et choqué de la façon qu'a été traité M. Denis de Belleval en commission parlementaire. « Cet épisode ressemblait plus à un procès qu'à une discussion ou à une étude. Que l'on soit pour ou contre le projet de loi, nous devons accueillir tous les intervenants avec respect et écoute ».

« Compte tenu des circonstances et afin de pouvoir nous exprimer en toute liberté, je demande finalement à ma chef de laisser les députés de l'opposition officielle voter sur ce projet de loi selon leurs convictions », a conclu le député de Bertrand.»

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