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La commission du cynisme

Résumons: le premier ministre Charest vient d’annoncer la création d’une «commission d’enquête» qui ne respecte pas la loi sur les commissions d’enquête; qui ne pourra pas contraindre les témoins à comparaître; ne leur offrira aucune immunité; et qui, faute de témoins par définition, se passera aussi en bonne partie à huis clos.

Bref, ceci n’est PAS une commission d’enquête.

C’est une commission de requête.

Une requête pour obtenir la faveur de laisser en paix le «système» identifié par le rapport Duchesneau.

C’est une commission privée. Une commission cachée alors que ce sont d’énormes sommes en fonds PUBLICS que l’on détourne et dilapide ici depuis des années.

Ce qui, semble-t-il, se poursuivra alors qu’on s’apprête à dépenser plus de 40 milliards de dollars en infrastructures de toutes sortes.

Ceci n’est PAS une commission d’enquête.

C’est l’anti-Gomery.

C’est une commission Passe-Partout. Une commission passe-droit. Une commission passe-passe.

Et ce, considérant la mécanique hors norme de la dite commission, nonobstant qui la préside.

Une commission passe-temps

Ceci n’est PAS une commission d’enquête.

C’est une commission passe-temps pour premier ministre et parti politique cherchant désespérément à gagner du temps d’ici la prochaine élection.

Un véritable cadeau du ciel pour tous ceux qui détroussent allègrement les contribuables québécois – et ceux qui en profitent directement et indirectement – dans la plus totale impunité.

Les voilà qui peuvent tous dormir tranquilles.

On savait que les intérêts, les réseaux d’influence et les montants d’argent en jeu ici étaient élevés. On vient d’en avoir la preuve par l’absurde.

La commission du cynisme

Surtout, c’est une commission mise sur pied avec une formidable dose de cynisme politique. Un cynisme qui semble présumer d’une population particulièrement crédule et naïve.

Le libéral Yvon Vallières évoquait plus tôt la nécessité d’un grand exercice de «pédagogie» auprès de «monsieur-madame-tout-le-monde» pour qu’ils «accompagnent» le gouvernement dans ce drôle de processus.

Or, ce n’est pas de «pégagogues» dont le gouvernement aura besoin, mais d’hypnotiseurs.

Cette «commission» risque aussi d’être une extraordinaire perte de temps et d’argent public.

D’autant que si le prochain gouvernement n’est pas libéral, il risque de devoir la démanteler pour recommencer l’exercice ou encore, de revoir complètement son fonctionnement.

Une commission marketing

À vrai dire, après le rapport Duchesneau et à quelques jours du congrès du PLQ, ceci est essentiellement un exercice de marketing politique destiné à calmer des troupes libérales de plus en plus nerveuses.

Dans les bureaux de premiers ministres, lorsqu’on est dans le trouble et qu’on veut créer une diversion, il arrive qu’on y parle en termes de «lancer» un «Gaines Burger» aux journalistes. Question de tenter de les envoyer sur une autre piste…

Dans ce cas-ci, c’est à la population qu’on le lance.

Et donc, cette pauvre population, elle continuera de rester sur sa faim. Certes, un euphémisme dans les circonstances.

Dans ma chronique mise en ligne plus tôt aujourd’dui (et en kiosque demain), ce refus d’une véritable recherche de la vérité est précisément ce que j’y prévoyais.

Comme c’est d’ailleurs le cas depuis presque trois ans: https://voir.ca/chroniques/voix-publique/2011/10/19/vivre-sur-du-temps-emprunte/

Une commission sans témoins

À RDI, Me Bernard Roy, ancien procureur de la commission Gomery, notait cette évidence: «en retirant l’immunité à des témoins,je ne vois pas quel intérêt ils auraient de se présenter (…) Pour moi, il va y avoir très peu de témoins qui vont se présenter».

C’est peu dire.

Le cynisme, il est également dans ce choix d’un mandat de deux ans – fait sur mesure pour ne rien produire, de toute manière, avant la prochaine élection générale.

(Et lorsqu’on sait que la plupart des VRAIES commissions d’enquête dépassent les délais qui leur sont demandés, imaginez une commission qui n’en est pas vraiment une…)

Le cynisme, il est aussi dans cette non-décision, in extremis et sous pression de ses propres troupes, de mettre sur pied une simili commission munie d’un mandat de deux ans alors que, dans les faits, cela fait déjà presque trois que 80% de la population en réclame une.

Si le premier ministre, comme il l’affirmait haut et fort à son point de presse, était réellement «déterminé à aller au fond des choses», il aurait créé une véritable commission d’enquête il y a longtemps.  Publique et indépendante.

Et devinez quoi? Elle serait déjà terminée!

Lorsque la police doit faire le boulot de l’État…

Le cynisme, on le détecte aussi dans cette «ligne» que tient M. Charest depuis plus de trente mois. Incluant aujourd’hui.

Une «ligne» voulant qu’on laisse la «police» faire son travail pour envoyer les «criminels» en prison.

Or, le «système» dont le rapport Duchesneau trace un début de portait, est nettement plus sophistiqué et généralisé pour croire qu’il est l’oeuvre d’une simple poignée de «criminels».

En fait, il est très inquiétant de voir un gouvernement se délester en faveur de la «police» de son ultime responsabilité, laquelle est de protéger le bien commun et de gérer les fonds publics avec probité.

Cette responsabilité, elle est celle de l’État, des élus. Non pas des forces policières. Sinon, ça commence à ressembler un tantinet à un État policier.

Le cynisme, il est également dans ce mandat télégraphié, comme pour Bastarache, par le gouvernement lui-même.

Un mandat limité à l’industrie de la construction.

On sait pourtant que les reportages d’enquête s’accumulent depuis des années sur des pratiques similaires dans d’autres domaines d’activité gouvernementale. Des pratiques de collusion, de corruption et de dépassements de coûts répétés et injustifiés.

Des pratiques où les fonds publics sont traités comme une énorme jarre à biscuits.

Des pratiques où l’octroi de contrats publics à forts prix se retrouvent aussi parfois liés à des dons illégaux aux partis politiques.  Que ce soit par «reconnaissance» des entrepreneurs pour contrats donnés, soit par espoir d’en obtenir, soit pour les deux…

Lorsque les écuries d’un État sont encrassées à ce point et que l’argent des citoyens est dilapidé et détourné dans les «mauvaises poches» – dont celles du crime organisé -, il n’y a qu’une chose qui puisse enclencher un grand ménage.

C’est une intention claire, précise et évidente d’un premier ministre d’aller au fond des choses. Pour vrai.

Or, avec l’annonce d’aujourd’hui, et après presque trois ans de refus obstiné de mettre sur pied une commission d’enquête véritablement publique et indépendante, qui oserait avancer, sans rire, que tel est le cas du premier ministre actuel?

Voir aussi:

http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201110/19/01-4458812-charest-lance-la-commission-charbonneau-sur-la-construction.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B4_manchettes_231_accueil_POS1

http://www.ledevoir.com/politique/quebec/333965/jean-charest-met-sur-pied-une-commission-d-enquete-sur-la-construction