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Le congrès de la confusion…

Après avoir créé une commission d’enquête qui – comme je l’écrivais la semaine dernière dès son annonce (1) -, n’en est tout simplement pas une puisque la loi sur les commissions d’enquête ne s’y applique pas, Jean Charest a tenté le tout pour le tout lors du congrès du PLQ.

Car le premier ministre se devait d’au moins tenter de calmer ses troupes inquiètes et une opinion publique parfaitement capable de comprendre l’inutilité de la commission Charbonneau sans pouvoir de contraindre les témoins à comparaître, ni immunité, ni audiences publiques sur les questions centrales du financement des partis politiques et de la corruption/collusion.

Surtout, il devait répondre à la critique cinglante d’un Barreau du Québec se disant incapable d’appuyer la commission dans ces conditions.

Alors, le voilà qui, dans son discours du vendredi soir – sans même que son fidèle ministre de la Justice n’ait été mis au courant -, sort un lapin de son chapeau.

La juge France Charbonneau, déclare-t-il, pourrait éventuellement, à certaines conditions bien spécifiques et dictées par lui, demander au gouvernement le pouvoir de contraindre certains témoins à comparaître…

Comment? Nul ne le sait. Lesquels? Nul ne le sait. Dans quelles circonstances? Mystère…

Et ses ministres de se précipiter aux micros et caméras pour répéter leur nouvelle «ligne» du jour: «la juge Charbonneau est parfaitement indépendante. Il faut lui faire confiance.».

Vraiment? Ce qui, pourtant, veut dire de l’obliger à quémander certains pouvoirs au gouvernement. Ce qui, on en conviendra, est la définition contraire de l’indépendance.

Et de fait, il existe déjà un outil pour assurer cette indépendance.

Au-delà de la personnalité ou du «cv» de la personne qui préside une commission dite d’enquête, cet outil s’appelle la loi sur les commissions d’enquête (2).

Cette loi, elle est là justement pour protéger l’indépendance de l’exercice; contraindre les témoins assignés à comparaître et à produire les documents requis d’eux; leur garantir l’immunité.

Une VRAIE commission d’enquête n’est pas un buffet chinois d’où la personne qui la préside peut choisir d’entre ces principes de base celui ou ceux qui lui conviennent… ou non.

Or, lorsqu’il a créé la commission Charbonneau, le PM a refusé d’appliquer cette loi à une commission dont l’objet d’enquête est pourtant rien de moins que la dilapidation possible au fil des ans de milliards de dollars des contribuables

Qui plus est, dans ce congrès de l’absurde et de l’improvisation, Jean-Marc Fournier – lequel est tout de même ministre de la Justice -, affirmait que «le gouvernement libéral n’a aucunement l’intention de réécrire le décret de la juge France Charbonneau pour y prévoir explicitement le pouvoir de forcer des témoins à venir s’expliquer devant elle. «Si on faisait ça, on nuirait à la Commission, on créerait un double mandat, une inquisitoire et l’enquête de la police», a insisté dimanche le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier.» Source: http://www.cyberpresse.ca/actualites/dossiers/commission-charbonneau/201110/23/01-4460057-le-mandat-de-la-juge-charbonneau-ne-changera-pas-dit-fournier.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_BO2_quebec_canada_178_accueil_POS1

Y a-t-il un gérant dans la boutique?

Mais oups… Nouveau rebondissement.

Toujours dans la confusion la plus totale, est arrivé ce moment proprement surréaliste du point de presse du premier ministre tenu en fin de congrès.

À lire avec attention…

Aux questions d’une journaliste de Radio-Canada, le voilà qui retricotait à nouveau le tricot de son ministre de la Justice.

Mais d’une manière plutôt difficile à suivre…

1ère question: «Quelle différence faites-vous entre les pouvoirs que vous avez accordés jusqu’à maintenant à la juge Charbonneau et la loi sur les commissions d’enquête?»

Réponse de M. Charest: «La loi sur les commissions d’enquête, c’est le moyen. Si Madame la juge Charbonneau veut formuler une demande qui demande /sic/ ou qui nous, nous, nous, demande de faire des choses précises qui relèvent sur /sic/ la loi sur la commission d’enquête /sic/, elle peut très bien le faire. Pour moi, c’est les moyens. L’essentiel, c’est le contenu. (…)»

2e question: «C’est pas ça ma question, M. Charest. Quelle différence faites-vous entre les pouvoirs que vous lui avez accordés jusqu’à maintenant et la loi sur les commissions d’enquête?»

Réponse de M. Charest: «Je lui accorde tous les pouvoirs dont elle a besoin pour remplir son mandat. Je ne fais pas de différence d’une loi par rapport à l’autre. Elle a tous les pouvoirs qu’il lui faut pour remplir son mandat. Un point c’est tout.»

3e question: «Alors, si elle demande d’être chapeautée, que sa commission soit chapeautée par la loi sur les commissions d’enquête, vous allez dire oui?»

Réponse de M. Charest: «Elle en formulera la demande. Nous, on va répondre aux demandes de Madame la juge Charbonneau. Si elle choisit, si elle pense que ce véhicule-là est le véhicule, le moyen, la technique qu’il lui faut pour faire son travail, elle en formulera la demande. Moi, je vois pas pourquoi on lui refuserait.»

4e question: «Alors, pourquoi ne pas l’avoir déjà appliquée (inaudible)?

Réponse de M. Charest: «Bien, on va lui laisser à elle formuler la demande. On lui fait confiance.»

5e et dernière question de la journaliste: «Pourquoi une juge doit demander au politique?»

Réponse de J. Charest: «Je pense que j’ai déjà répondu à cette question-là. Entre autre, sur la question des enquêtes policières.»

On résume le tout?

Résumons le tout. Du moins, «jusqu’à maintenant», comme le disait si bien ma collègue au premier ministre – puisque les versions du PM et du ministre de la Justice changent continuellement…

Donc, parce que son PM a refusé de le faire en créant la commission Charbonneau le 19 octobre dernier, le ministre de la Justice refuse bien évidemment d’adopter un nouveau décret qui assujettirait cette dernière à la loi sur les commissions d’enquête.

Pendant ce temps, dimanche en point de presse, le premier ministre avance plutôt que SI la juge Charbonneau le lui demandait, il le ferait!

Mais attention. Il le dit, non de sa propre gouverne, mais en réponse aux questions insistantes, et avec raison, d’une journaliste.

C’est à y perdre son latin.

Et donc, il faudrait maintenant attendre le bon vouloir de la juge Charbonneau pour savoir si oui ou non, sa commission sera soumise à la loi sur les commissions d’enquête.

Cette décision relève pourtant clairement du pouvoir exécutif – soit celui de Monsieur Charest -, et non du pouvoir judiciaire.

Conclusion: plutôt que de prendre ses propres responsabilités de chef de l’exécutif, M. Charest, de toute évidence, espère très, très fort que France Charbonneau s’en tiendra aux pouvoirs outrageusement limités qu’il lui conférait mercredi dernier.

Une situation, après tout, qu’elle avait acceptée en toute connaissance de cause…

Mais à voir l’impressionnante série de pirouettes politiques à laquelle nous assistons ces jours-ci sur ce sujet, qui sait quelles pourraient bien être les prochaines?

Cela étant dit, le «recul» tactique du PM ne règle en rien le fait que la commission Charbonneau n’est toujours pas instituée selon la loi sur les commissions d’enquête.

Point.

Et c’est cette intention originelle, nette, claire et précise lors de la création de la commission Charbonneau, qui dit tout…

Mais est-ce vraiment une volte-face?…

On a rapporté que toute cette confusion constituait une volte-face de la part de Jean Charest.

Mais l’est-ce vraiment dans la mesure où dans le décret gouvernemental du 19 octobre dernier constituant la commission dite Charbonneau, un des «attendus» inclus est celui-ci:

«QUE la commission décide de ses règles de fonctionnement, établisse ses priorités d’action, ainsi que toute autre règle qu’elle estimera utile à son fonctionnement».

Le VRAI problème est que dans le décret du 19 octobre, cet «attendu» perd tout son sens et est carrément contredit par cet un autre «attendu», soit: «QU’à cette fin, la commission ne puisse accorder d’immunités et qu’en conséquence, elle ne puisse contraindre à témoigner».

Alors, qui est le génie qui, au gouvernement, n’a pas vu la contradiction totale entre ces deux «attendus»?

Et comment se fait-il que ni le premier ministre, ni le ministre de la Justice, ne l’ait vu?

Ne reste qu’une explication: le refus du PM d’appliquer la loi sur les commission d’enquête à la commission Charbonneau.

Et chanceux qu’il fut, la juge Charbonneau avait accepté…

Il reste donc à voir si après la déclaration de Jean Charest lors de son point de presse de dimanche, elle acceptera ou non de porter le fardeau d’avoir accepté les conditions du premier ministre telles qu’édictées dans le décret du 19 octobre tout en se retournant maintenant pour lui demander de soumettre sa commission à la loi sur les commissions d’enquête dont elle pensait pourtant pouvoir se priver?…

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(1)  https://voir.ca/josee-legault/2011/10/19/la-commission-du-cynisme/

(2)  http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/C_37/C37.htm