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Le «RIP»: une mauvaise bonne idée

 

 

Tel que prévu, le Conseil national de cette fin de semaine s’est déroulé pour Pauline Marois dans la quiétude la plus complète.

Une fois écartée l’arrivée possible d’un Gilles Duceppe à la tête du Parti québécois  – le tout sur fond de parfum d’élections générales cette année -,  le dossier «contestation du leadership» de Mme Marois est bel et bien clos.

Ce qui, par contre, ne veut pas dire que les dissensions ont disparu d’un coup de baguette magique. Pour cause d’urgence de cesser d’imploser en public en chemin vers une élection qui s’annonce difficile pour le PQ face à la CAQ, elles deviennent tout simplement dormantes.

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Le retour des «RIP»

Les délégués ont adopté le principe des «référendums d’initiative populaire», mieux connu sous l’acronyme aux usages variés de «RIP».

Longtemps opposée aux RIP, Mme Marois – question de jeter un peu de lest à des militants encore très inquiets de la suite des choses pour leur parti -, s’est ralliée à cette idée poussée par le député Bernard Drainville et le défunt SPQLibre.

Détail révélateur: Mme Marois n’était pas présente en plénière lors du vote sur cette résolution. Au PQ, lorsqu’un chef s’absente d’un vote important, cela confirme habituellement que, dans les faits, il est contre. Mais que des circonstances particulières le forcent à laisser aller ses militants sans pour autant avoir l’intention d’appliquer ce qu’ils demandent un jour la mesure adoptée en congrès ou en conseil.

Même au PQ, les militants proposent et les chefs disposent.

Par après, Mme Marois y a en effet mis tellement de conditions que l’idée risque fort de ne jamais se matérialiser. J’y reviendrai plus loin. On voit mal d’ailleurs pourquoi, après s’être tant battue pour n’avoir ni obligation, ni échéancier référendaire, la chef péquiste laisserait tout à coup la «population» en décider pour elle… Elle a beau louanger maintenant ce qu’elle appelait en fermeture du conseil national la «sagesse populaire», elle ne lui faisait pas trop confiance jusqu’à maintenant sur cette question-là…

Donc, ces RIP, c’est la possibilité pour des citoyens d’ouvrir un registre (ou une pétition) demandant un référendum sur ceci ou cela. Le recours aux RIP est légiféré dans quelques États, indépendants ou non, dont en Colombie-Britannique.

Or, au Québec, ce serait une véritable boîte de Pandore politique.

Imaginons un registre demandant la ratification de la constitution de 1982. Ou sur la liberté de choix dans la langue d’enseignement (toujours très populaire dans les sondages). Ou sur la souveraineté à un moment où celle-ci serait dans le 36e dessous des sondages. Ou encore, sur des questions sociales controversées. Etc, etc…

Même avec un seuil élevé de signatures exigées pour un tel registre – comme 10% ou 15% des électeurs inscrits -, des opérations de ce genre seraient toujours possibles à mener. Mais bon. Laissons cette réflexion pour le moment…

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La multiplication du flou artistique

La première conséquence de l’adoption de cette idée par le PQ est de venir ajouter une énième couche à la confusion et aux ambiguités qui règnent déjà dans son programme. Et ce, depuis les fameuses «conditions gagnantes» de Lucien Bouchard.

Ce flou, résumons-le ainsi: il y aura un référendum si nécessaire, mais pas nécessairement un référendum. Ce qui dédouane également la direction du parti, une fois au pouvoir, de prendre les moyens nécessaires, démocratiques et légitimes pour enclencher un processus de promotion de son option et de préparation d’un éventuel référendum.

Si des militants et des députés, en toute bonne foi, ont cru que les RIP allaient ajouter du muscle à la «gouvernance souverainiste» de leur chef, ils risquent d’avoir le réveil difficile lorsque la poussière retombera.

De fait, lorsqu’on ajoute les RIP à la «gouvernance souverainiste»  enchâssée dans le programme adopté l’an dernier en congrès, les électeurs se retrouveront face à un flou de moins en moins artistique quant à une réalisation de la souveraineté dont s’éloigne peu à peu la direction du PQ depuis quinze ans déjà.

Ce qui est sorti de ce conseil national sur l’option du PQ en fera perdre son latin aux plus sophistiqués des exégètes politiques.

Si l’on combine la «gouvernance souverainiste» du programme, le principe des RIP adopté au conseil national et les réponses de Mme Marois en point de presse ce dimanche, voilà à quoi le tout ressemblerait. (Ce qui est entre guillemets sont des citations de Mme Marois en point de presse).

Donc, pour avoir des RIP, il faudrait:

– Que le PQ forme un gouvernement majoritaire;

– Que la Loi sur les consultations populaires soit modifiée;

– Que le Directeur général des élections consulte la population sur les «modalités» de leur mise en oeuvre;

– Qu’un seuil minimal de nombre de signatures requises pour un registre ou une pétition soit établi (par qui, on ne sait pas encore);

– Que le «débat se fasse»;

– Qu’il y ait des «balises à mettre en place (…) elles sont importantes à mettre en oeuvre»;

– Par exemple, «y aurat-il des RIP sur des «questions fiscales?»;

– Ou encore: «est-ce qu’on garde un pouvoir ultime à l’Assemblée nationale et à ses membres à la fin avant qu’on engage le processus»?;

– Ou encore: «est-ce que c’est l’Assemblée nationale qui prendra la décision?»;

– Ou encore: «y a-t-il une obligation pour le gouvernement de prendre la décision?»;

– En même temps, selon Mme Marois, «les élus ne doivent pas se départir de leurs responsabilités à cet égard»;

– Et puis, se demande Mme Marois: «est-ce qu’un référendum d’initiative populaire aura comme conséquence d’être exécutoire? Ça pourrait être ça. Je dis pas que c’est pas ça. Je dis que ça pourrait être ça.»;

– Et ceci: «moi, je discuterai de ces balises avec les membres de l’Assemblée nationale, avec les militants, sûrement. Et nous verrons dans quelles circonstances ça peut devenir un référendum décisionnel, et donc, un référendum qui oblige à exécuter la recommandation faite par la population.»;

– Etc., etc, etc.

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Qu’est-ce que la «gouvernance souverainiste»?

Dans la réalité politique, soumettre le tout aux membres de l’Assemblée nationale ne pourra mener qu’à une seule chose: un blocage total de la part du PLQ et de la CAQ – tous deux opposés à la tenue d’un référendum, qu’il soit un RIP ou non.

Vous imaginez vraiment les caquistes et les libéraux débattre sérieusement du «comment» faire des RIP? Eh non.

Sans compter que l’idée même de RIP – même s’ils se faisaient un jour (?) -, va à l’encontre de celle de la «gouvernance souverainiste» de Mme Marois.

La «gouvernance souverainiste» étant ceci: si le PQ prend le pouvoir, il présentera à Ottawa une demande de rapatriement d’un certain nombre de pouvoirs pour la province du Québec et adoptera des mesures «identitaires» telles que réécrire la Loi 101, une constitution québécoise au sein du Canada, etc.

Et pour un référendum sur la souveraineté elle-même?

En point de presse, Mme Marois décrivait la position du parti en ces mots:

«au moment jugé opportun, nous tiendrons, s’il y a lieu, un référendum. Mais nous allons garder la possibilité de prendre ces décisions-là. Et de fait, nous n’annoncerons pas que nous tenons un référendum, ni que nous n’en tenons pas.»

En anglais, Mme Marois fut particulièrement claire.

Lorsqu’un journaliste lui a demandé «what will this election be about» (quels seront les enjeux de l’élection), hormis l’évidente nécessité de gouverner, sa réponse fut: «one of these issues is to continue to defend the interests of Quebecers and to obtain more powers for the Quebecers» (un de ces enjeux sera la défense des intérêts du Québec et l’obtention de plus de pouvoirs pour les Québécois).

Donc, résumons. Sur la question nationale, le PQ se présenterait à la prochaine élection avec:

1) une politique de «gouvernance souverainiste» qui, en fait, est autononomiste;

2) l’engagement de permettre des RIP qui pourraient porter, entre autres objets, sur la souveraineté;

3) le tout, en gardant le contrôle de la décision de déclencher ou non un référendum, s’il y a lieu, au moment qu’il jugera opportun.

4) sans oublier une résolution à l’effet qu’une constitution québécoise soit adoptée par l’Assemblée nationale puis approuvée par un autre référendum.

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Pour reprendre l’observation d’un collègue lors du point de presse – avec cette combinaison, les Québécois ne sauront pas s’ils auraient ou non un référendum sur la souveraineté dans un premier mandat du PQ ou même dans un second.

S’ajoute une question fondamentale: comment un gouvernement péquiste pratiquant une approche autonomiste avec Ottawa pourrait, en même temps, enclencher une promotion et une préparation actives de la réalisation de son option en utilisant les outils et les ressources mis à sa disposition par le fait d’être au pouvoir?

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Depuis sa première prise de pouvoir en 1976, le PQ n’a pourtant pas  fait ces deux choses en même temps.

Pourquoi? Parce qu’en tant que parti souverainiste, toute demande qui équivaut à renouveler le fédéralisme – comme rapatrier des pouvoirs – auraient zéro crédibilité de la part d’un gouvernement qui, en même temps, préparerait et ferait une promotion active de l’indépendance.

Élu en 1976, René Lévesque a certes donné un «bon gouvernement», mais avec l’engagement de procéder ensuite à un référendum (en fait, cette approche dite «étapiste» déjà très risquée en soi prévoyait deux référendums – un premier sur un mandat de négocier une nouvelle «entente» de souveraineté-association avec le Canada suivi, si le OUI l’emportait,  par un second référendum pour ratifier les résultats de cette négociation, si négociation il y avait même eu… ce qui, dans les faits, était fort peu probable. Cet étapisme, donc piégé d’avance par définition, fut abandonné sous Jacques Parizeau.)

En 1981, après la défaite référendaire de mai 1980, M. Lévesque est retourné en élection avec la promesse de ne PAS tenir un autre référendum.

Puis, il se trouva tout de même piégé, cette fois-là, par les pseudo-négociations entourant le rapatriement de la constitution et l’adoption d’une nouvelle par le gouvernement Trudeau. Le tout, pour finir, en bout de règne, en épousant le «beau risque» fédéraliste de Brian Mulroney. Ce qui, on se souviendra, provoqua la démission fracassante de plusieurs ministres, dont les Parizeau, Laurin et Lazure.

Puis vint l’«affirmation nationale» sous Pierre-Marc Johnson – également d’inspiration autonomiste.

En 1994, Jacques Parizeau se présenta avec l’engagement de tenir un référendum rapidement dans un premier mandat sans montrer le moindre intérêt pour rapatrier des pouvoirs «en attendant» ou à la place de celui-ci.

 

Un référendum qu’il préparait par ailleurs assidûment, ici et à l’international, même lorsqu’il était dans l’opposition.

La combinaison de la «gouvernance souverainiste» et des RIP ne fait qu’ajouter d’autres «étapes» à l’approche étapiste avec laquelle le PQ avait pourtant rompu sous M. Parizeau parce que l’étapisme manque non seulement de clarté, il ajoute surtout des obstacles concrets à la réalisation de l’indépendance. Une réalisation qui, de par le monde, peut se faire par référendum, mais aussi, par d’autres moyens démocratiques.

Maintenant, est-ce que tout ce flou ramènera au PQ ceux qui  ne croient plus, soit en la capacité, soit en la volonté des dirigeants du parti de prendre une approche plus proactive sur leur option – ceux qui ne votent plus ou regardent ailleurs? Le pari est lancé.

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La VRAIE question: pourquoi ce désir pour des RIP?

D’un point de vue analytique, il importe surtout de tenter de comprendre les principales raisons pour lesquelles depuis plusieurs années déjà, des souverainistes notoires et de bonne foi, péquistes ou non, ont défendu cette idée de référendum d’initiative populaire.

Cette demande est en fait le reflet d’un bris de confiance, pour ne pas dire d’une méfiance, qui s’est installée lentement envers les divers chefs péquistes qui, depuis le dernier référendum, ont rivalisé de «tactiques» et de «stratégies» pour ne pas enclencher la promotion de leur option doublée d’une préparation intensive d’un prochain rendez-vous référendaire – avec ou sans échéancier fixe, par ailleurs.

En d’autres termes, si la confiance régnait envers la direction du PQ, si les gens étaient certains qu’elle prendra ce chemin-là sans que des citoyens doivent l’y pousser, on ne chercherait pas dans les rangs souverainistes une manière ou une autre de s’ouvrir une «deuxième voie», pour reprendre l’expression de Bernard Drainville.

Si la direction du PQ semblait déterminée à monter sur l’«autoroute de la souveraineté» – comme on disait autrefois -, personne ne rêverait d’y ajouter une deuxième voie.

Bref, dans le contexte politique particulier au Québec, de même que dans la dynamique fédérale-provinciale actuelle, les RIP ressemblent à quelque chose comme une mauvaise bonne idée.

Autant pour la boîte de Pandore qu’ils représentent quant à ses sujets possibles de consultation, que pour la nouvelle couche de confusion qu’ils viennent ajouter à la position déjà floue du PQ sur son option.

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Un autre son de cloche…

En entrevue lors du conseil national, ce tout autre son de cloche venait du député Stéphane Bergeron:

«Alors, quand on dit c’est pas le temps, je pense que c’est plus que jamais le temps. Il ne faut pas attendre les conditions gagnantes, attendre le moment opportun. Il faut plus que jamais faire la promotion de notre projet (…) c’est non seulement urgent, mais c’est ce qui doit être fait dans le contexte actuel, tout particulièrement. (…) Je pense que nous sommes les propres artisans de notre malheur. Depuis le mois de juin, on s’est employé à rompre le lien de confiance avec la population du Québec. (…) Faut qu’on prenne les moyens pour faire en sorte que ça advienne et il faut pas prétendre que ce n’est pas le temps. (…) Il faut un moment donné qu’on prenne une décision, qu’on se mette les yeux devant les trous puis qu’on dise c’est quoi l’avenir collectif, comment on le conçoit?»

Pendant ce temps, la souveraineté continue de recueillir, bon an mal mal, entre 37 et 45% d’appuis dans l’électorat, alors que ceux du PQ oscillent entre 20 et 25%.

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Ce matin, un collègue chroniqueur écrivant sur les médias s’élevait contre ce qu’il appelait «le bruit péquiste et ses échos». À première vue, le point de vue frisait un tantinet la caricature. Or, il reste que dans les partis politiques – PQ ou autres -, décortiquer les luttes de pouvoir qu’on y retrouve peut s’avérer utile parce qu’il arrive parfois qu’elles reflètent aussi des différends majeurs sur des questions de fond – questions dont c’est notre métier, comme chroniqueurs politiques, de les analyser, les fouiller et les expliquer.

Se plaignant qu’on ne s’interroge pas suffisamment sur l’«essentiel, sur cela même qui constitue l’enjeu de la vie en commun», rappelons simplement et fort respectueusement que la question nationale fait tout au moins partie, jusqu’à preuve du contraire, de ce qui constitue, ici, «l’enjeu de la vie en commun». Et si le PQ n’est qu’un acteur politique majeur parmi d’autres sur cette question, le projet unique qu’il porte ici, pour ou contre, lui attire nécessairement une attention marquée.

Que ce soit sur ce sujet ou tout autre, tenter de comprendre par l’analyse est un des premiers remèdes contre le «cynisme déjà obèse».

Ce qui, par contre et entre autres, alimente le cynisme est de ridiculiser des enjeux de fond, de les présenter comme étant dépassés alors qu’ils ne le sont pas. Ou encore, lorsqu’il est question des partis politiques, de confondre luttes de pouvoir, luttes de personnalités et confrontation d’idées.

Cette confusion, un de mes plus sages professeurs de science politique nous enjoignait de toujours l’éviter. Il avait bien raison.

 

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Les donateurs de la CAQ

 

Ceux et celles qui seraient intéressés à voir la liste des donateurs de la CAQ – celle de février à novembre 2011 alors qu’elle était un OSBL (organisme à but non lucratif) – la trouveront ici.

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@ Caricature (Godin; 1995): source 

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 @ Sur ce, prenons rendez-vous pour ma chronique (en ligne mercredi et en kiosque jeudi). Sujet: l’offensive pré-budgétaire ultra-conservatrice du gouvernement Harper…