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Le monde est petit…

 

 

 

Ce mercredi, rien n’aura autant marqué cette énième journée de grève étudiante que les révélations de cet article de La Presse signé par le journaliste d’enquête André Noël.

Une journée qui, par ailleurs, s’est terminée sur une note d’originalité avec une «visite surprise» d’étudiants devant la maison de Jean Charest à Westmount.

Maintenant, de retour à l’article d’André Noêl, lequel faisait état d’un petit déjeuner de levée de fonds tenu en 2009 avec la ministre de l’Éducation Line Beauchamp (alors ministre de l’Environnement et un tout petit groupe sélect de 15 à 20 personnes. Incluant un membre important de la mafia – Domenico Arcuri.

Et quel était le nom du restaurant? «Piccolo Mondo». Eh oui… comme le monde est petit…

Au point où plus tard dans la journée, TVA rapportait qu’au même petit déjeuner, auraient également été présents Lino Zambito et un des membres du présumé Fabulous Fourteen – l’entrepreneur Paolo Catania.

L’importance de la nouvelle étant ce qu’elle est, ce même mercredi matin, la période de questions à l’Assemblée nationale a porté presque en entier sur le sujet avec des questions cinglantes posées par le PQ et la très efficace députée caquiste Sylvie Roy.

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Plusieurs questions sans réponse

La réaction ultra préparée et scriptée d’avance de la ministre Beauchamp fut celle-ci: soit qu’elle ne le referait «jamais» et qu’elle n’avait aucune connaissance de qui était cet «individu» – autant en 2009 qu’aujourd’hui.

Or, s’il demeure possible que la ministre n’ait pas su qui Arcuri était – possible mais pas encore prouvé -, la question est aussi à savoir si des membres de son personnel politique de l’époque, eux, le connaissaient?

Et si, la présence de M. Arcuri, de même que sa grande générosité pour les coffres du PLQ, aurait ou non facilité pour lui par la suite la bonification du certificat d’autorisation accordée par le ministère de l’Environnement à son entreprise Énergie Carboneutre?

En passant, ce même petit déjeuner de levée de fonds pour le PLQ était organisé par des cadres de la firme de génie-conseil Genivar.

Ce qui soulève, à nouveau, des questions éthiques importantes sur ces levées de fonds clé-en-main dites «sectorielles», de surcroît, dans ce cas-ci comme dans d’autres, sous-traitée par un parti politique à des membres de firmes qui brassent en même temps des affaires lucratives avec le gouvernement.

(Ce jeudi, Québec solidaire tiendra d’ailleurs un point de presse. Amir Khadir et Françoise David y présenteront un rapport intitulé « Le financement sectoriel : Portrait et propositions de Québec solidaire pour en finir avec la corruption»…

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Opération «contrôle de dommage»

Plus tard, ce mercredi après-midi, la chef péquiste Pauline Marois, questionnée sur le sujet, répondait que, selon elle, la ministre Beauchamp n’avait tout simplement plus la «crédibilité» nécessaire pour porter le dossier du conflit étudiant actuel.

Et, en effet, la ministre risque de sortir particulièrement affaiblie face aux organisations étudiantes de cet épisode qui ramène crûment à l’avant-scène des allégations de copinage entre le politique et l’industrie de la construction.

Bref, cette histoire est loin d’être terminée.

Et donc, on comprend mieux pourquoi mardi, en fin d’après-midi, la ministre Beauchamp fut soudainement remplacée dans les médias, pour répondre à la «contre-proposition» de la FEUQ et de la FECQ, par son collègue des Finances, Raymond Bachand.

La ministre ayant dû être tout à coup prise par la nécessité de «préparer» la sortie de cette nouvelle ce mercredi matin. (Inévitablement, les téléphones normaux de vérification par le journaliste ayant été fait mardi auprès de l’attachée de presse de la ministre, il tombe sous le sens que cette dernière était au courant de la sortie de la nouvelle et donc, se devait de préparer avec son entourage et le bureau du premier ministre, sa réplique du lendemain.)

D’ailleurs, la question de la présence d’un mafieux important dans une activité de levée de fonds où la ministre était l’invitée-vedette, et où peu de personnes étaient présentes, est d’une importance telle que ce mercredi matin, à la période de questions, le gouvernement avait déjà fort bien préparé son «équipe» de «damage control» – comme disent les Chinois…

Ainsi, non seulement la ministre a répondu parcimonieusement aux questions posées et ce, en demeurant strictement collée à ses «lignes» -, on a surtout assisté ensuite à une chorégraphie politique fortement préparée d’avance avec:

1) le leader du gouvernement, Jean-Marc Fournier, iintervenant à plusieurs reprises pour demander que l’on respecte la parole de la ministre (comme le stipule le règlement de l’Assemblée nationale);

2) le ministre actuel de l’Environnement, Pierre Arcand, se levant pour répéter qu’aucune faveur politique n’avait été accordée à l’entreprise Carboneutre;

3) et finalement, le ministre délégué aux Finances, Alain Paquet, se levant également à quelques reprises pour répéter que le gouvernement, depuis, avait resserré les règles du financement des partis. Il a aussi rappelé, articles à l’appui, que le PQ avait lui-même été blâmé par le Rapport Moisan pour avoir déjà accepté (de 1995 à 2000) près de 100,000$ en dons de la firme Groupaction – des dons acheminés de manière illégale par des prête-noms.

(N.B. Groupaction était une des firmes liées de très près au scandale des commandites. Après la publication du Rapport Moisan, le PQ a remboursé ces sommes au trésor public.)

Bref, comme à chaque fois où la question épineuse d’un financement possiblement occulte des partis est soulevée publiquement, les accusations de faire «pareil» se lancent de part et d’autre de la Chambre. Joli message envoyé aux citoyens…

Et, encore une fois, la preuve par l’absurde que l’heure est venue de passer à un financement des partis entièrement public.

Mais surtout, voilà ici une énième histoire rappelant les liens troublants redevenus monnaie courante entre le financement des partis, l’industrie de la construction dans toutes ses ramifications légales et illégales – incluant l’influence démesurée de cette dernière sur les collecteurs de fonds des partis et l’octroi de contrats publics lucratifs -, sans oublier, comme le soulignait avec force le rapport Duchesneau et nombre de reportages de journalistes d’enquête, le rôle central que semble s’entêter à jouer le crime organisé dans l’industrie la plus gâtée au Québec en termes de réception de deniers publics.

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De retour à la grève étudiante…

Dans ce même point de presse, Pauline Marois – tout en réclamant des élections pour dénouer l’impasse – a également fait état d’une «nouvelle» position sur la question des frais de scolarité.

Soit que si le PQ prenait le pouvoir, il annulerait la hausse de 82% décrétée par le gouvernement Charest et se contenterait, «à ce moment-ci», d’une «indexation» au coût de la vie.

(En fait, la chef péquiste avait avancé cette nouvelle position ce dimanche à l’émission Larocque-Lapierre. Ce qui rappelle aussi qu’au fil des ans, Mme Marois, tout comme M. Charest, a changé d’idée à quelques reprises sur cette même question des frais de scolarité…)

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Lucien Bouchard à la rescousse

Ce mercredi soir, en entrevue à  TVA, Lucien Bouchard venait vendre le texte qu’il signait le matin même dans plusieurs quotidiens avec onze autres personnalités penchant plutôt à droite ou au centre-droit de l’échiquier idéologique (dont quelques ex-«Lucides, incluant lui-même).

 

 

Un beau hasard, en effet, puisque ma chronique de cette semaine portait justement sur la forte proximité idéologique existant entre le premier ministre Charest et les «Lucides» de M. Bouchard sur, entre autres choses, la question des droits de scolarité.

Et donc, dans leur texte paru ce mercredi matin, ces signataires appellent le gouvernement à «rétablir l’ordre» et la population à donner son appui au gouvernement Charest dans ce conflit (le texte parle de donner son appui à l’«État» – pourtant deux synonymes politiques dans le contexte actuel.

Ils font aussi appel à des élections comme étant, selon eux, le temps et le lieu pour trancher la question des droits de scolarité.

Et surtout, ils rappellent leur position de 2010 (à laquelle je faisais d’ailleurs référence dans la chronique ci-haut) favorisant une hausse substantielle des frais de scolarité.

Et donc, sans surprise, à la période de questions, le premier ministre Charest s’est fait un bonheur de faire référence au texte signé entre autres par M. Bouchard.

Bref, force est de constater qu’une fois de plus, l’ex-premier ministre a choisi de voler à la rescousse de son ex-collègue du conseil des ministres du gouvernement conservateur…

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Plus ça change…

Or, autant dans ce texte que dans son entrevue à TVA, M. Bouchard passe à côté, comme d’autres l’ont fait, de la vraie question.

La vraie question étant: comment demander plus d’argent à des étudiants et à leurs familles dans un contexte où, comme je l’explique dans ma chronique de cette semaine, une part importante des finances publiques du Québec sont parfois dilapidées, parfois détournées, c’est selon. Bref, elles sont terriblement mal gérées.

Que les étudiants le comprennent semblent déranger, vraiment beaucoup, certaines élites.

Nul doute, par contre, que plusieurs s’entêteront à faire les calculs les plus «savants» pour tenter de prouver que l’«offre globale» du gouvernement serait «profitable» aux étudiants dont les parents tombent dans telle ou telle catégorie de revenus combinés. Pratique, franchement, car pendant ce temps, on continuera  à ne PAS discuter de cette dilapidation éhontée de fonds publics au Québec à laquelle on assiste, impuissants, depuis des années.

Dans sa précipitation amicale à soutenir le gouvernement dans sa position, M. Bouchard avance aussi qu’il n’aurait JAMAIS accepté de négocier avec la CLASSE. Voire même qu’il serait maintenant impossible d’avoir recours à un médiateur.

Dans leur texte, M. Bouchard et ses cosignataires se disent également favorables à laisser les électeurs trancher la question des frais de scolarité dans une prochaine élection. Précisément ce que le ministre des Finances affirmait, lui aussi, ce mercredi.

Bref, un ministre actuel, n’importe lequel,  n’aurait pas mieux fait que M. Bouchard pour reprendre avec précision les «lignes» principales du gouvernement en place. Mieux encore, il va même parfois jusqu’à les inspirer…

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Morale (s) de cette histoire:

1) si un homme peut toujours sortir du Parti conservateur, il est nettement moins probable que le conservatisme finisse par sortir du même homme;

2) lorsqu’une ministre se dit incapable de s’asseoir à la même table que la CLASSE – pourtant une organisation étudiante démocratique -, elle eût été nettement plus prudente de s’assurer au préalable qu’elle ne vivait pas elle-même dans une maison de verre où elle aurait déjà «petit-déjeuné» avec un membre influent de la mafia.

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Addendum:

1) sur le Rapport Moisan, lire: http://www.ledevoir.com/politique/quebec/112200/rapport-moisan-le-pq-a-sciemment-ferme-les-yeux

2) sur Twitter, une professeure de Gatineau me faisait parvenir ce compte-rendu d’une conférence donnée en 1999 par Jean Charest à l’Université Laval – il était alors chef de l’opposition officielle – appuyant un gel des frais de scolarité en ces termes : «Le gouvernement doit respecter sa décision de geler les frais de scolarité. À cet égard, je lui demande de donner les moyens aux universités de respecter les engagements qu’il a pris sur cette question. »