Il y a de cela deux semaines, quelques minutes avant de quitter pour le travail, je suis allé faire un traditionnel petit tour matinal sur Facebook. Malheureusement, en rafraîchissant mon fil d’actualité, aucun statut nocturne écrit avec les judicieux conseils de la boisson, aucun statut thérapeutique tiré des écrits de Paulo Coelho, aucun statut à propos du caractère foncièrement démoralisant des lundis. En fait, tout ce que Facebook avait à me dire ce matin-là était: « Oops, something went wrong ». Sinon rien. Niet, nada, que dalle.
Je suis conscient que cela puisse être ridicule pour la plupart, mais à chaque fois qu’un tel message apparaît, je suis pris d’une petite angoisse existentielle.
Premièrement, je suis un junkie des réseaux sociaux, tout particulièrement de Facebook. Si on m’en prive, je rentre immédiatement en état de sevrage. Et ne me dites pas d’aller sur Twitter, je me sentirais comme Claude Poirier avec une vapoteuse sans nicotine.
Deuxièmement, Facebook est un outil de travail indispensable. C’est en grande partie grâce à ce médium que je gagne ma vie et chaque fois que la menace de voir mon compte fermé ou suspendu se pointe le bout du nez, je m’imagine mendier avec le sympathique clodo qui répète inlassablement « du change » au Métro Square-Victoria, à deux pas du boulot.
Qu’est-ce que j’avais bien pu publier d’inapproprié pour expliquer la fermeture temporaire de mon compte?
Et bien je n’avais rien publié d’inapproprié. Comme ça avait été le cas pour quelques amis avant moi, j’étais sommé de modifier mon nom d’utilisateur, Julien Day – qui avec les années est devenu mon nom tout court, au point où la plupart des chèques que je reçois sont adressés à Julien Day -, pour mon vrai nom de baptistère: Julien D. Proulx.
Rien de grave, vous direz? J’suis bien d’accord avec vous. Irritant serait un mot beaucoup plus juste. J’ai donc obtempéré, tout en écrivant un petit et poli mot au « service aux membres » comme c’était suggéré aux gens qui croyaient être victimes d’une erreur. Évidemment, je n’ai reçu aucune réponse à ce jour et je commence tranquillement à me faire à l’idée de ne jamais récupérer mon « nom d’artisss ».
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Depuis ce jour fatidique, de plus en plus de mes contacts se voient forcés de faire de même. Le dernier sur la liste est le personnage culte de la planète web-QC, Gran Talen. Si l’obligation de changer de nom n’était pas un drame dans mon cas, il en est autrement pour Gran Talen, dont l’anonymat est soigneusement préservé depuis l’explosion de sa popularité, anonymat faisant partie intégrante de la légende derrière le personnage qui s’est – entre autres exploits – récemment démarqué en dédiant un texte-hommage au journaliste Akli Ait Abdallah pendant l’émission La Sphère sur les ondes de la Première Chaîne de Radio-Canada.
Dans le cas de Gran Talen, la situation est beaucoup plus attristante. Des milliers de personnes se délectent chaque jour de ses histoires rocambolesques depuis maintenant plus de deux ans et le passage à un compte de type « fan page » signifierait la perte de plusieurs centaines de perles littéraires présentement archivées sur sa page qui ne pourront être transférées.
De plus, une grande partie de la popularité du personnage est due à ses apparitions régulières (permettez-lui un apartheid) sur le mur de diverses personnalités du web possédant des profils Facebook individuels avec lesquels une « fan page » ne peut interagir.
Malgré que la politique de Facebook concernant l’utilisation d’un pseudonyme ait toujours été sans équivoque, force est de constater que la lutte aux pseudonymes est présentement une de leurs priorités, malgré quelques rapports suggérant le contraire. Cela dit, de plus en plus d’usagers se plaignent du zèle de Facebook dans de pareils cas.
Décidément, à moins d’un revirement de situation drastique, les médias sociaux de chez nous risquent de perdre un de ses quelques artisans qui fait l’unanimité, autant chez les intellos que chez les amateurs d’humour « scato ».
En attendant de connaître la suite, rappelons que si vous vous ennuyez trop, le site web www.grantalen.com est toujours en ligne. Vous pouvez aussi lire plusieurs de ses articles satiriques et péripéties sur www.axedumad.com.
Quelques heures à peine après l’annonce de la possible fermeture de son compte, une pétition circulait en ligne pour demander à Facebook d’épargner Gran Talen. D’autres utilisateurs du réseau social suggéraient d’inonder le « service aux membres » de plaintes tandis que d’autres assuraient qu’ils allaient contacter un des deux représentants de Facebook affectés à la région de Montréal.
Une chose est sûre, le principal intéressé, malgré sa consternation, ne compte pas abandonner. Bien qu’il soit trop tôt pour prendre une décision quand à son avenir, voici ce qu’il avait à dire lorsque je l’ai contacté un peu plus tôt:
Compte fermé? Plaît-il?
Ici Gran Talen…
1-2, un-deux, one-two, testing.
Y’a quelqu’un? J’aimerais parler à Facebook s’il vous plaît. Idéalement à Monsieur Zuckerberg ou aux 2 représentants Facebook qui travaillent à Montréal. Les boys, l’heure est grave; lâchez vos conférences avec des bouchées à 100$ pis aidez-moi.J’me sens comme un enfant qui s’fait mettre en punition par son parent préféré. Je suis le plus grand fan de Facebook de la planète pis vous fermez mon compte. La preuve: j’ai été nommé dans la catégorie « Site web de l’année » au FIA pis j’ai tout de suite dit que c’était à Facebook que ce prix devrait aller.
J’fais rien de mal, sur Facebook. Je tente simplement de (me) divertir. J’pensais qu’on pouvait jouer, moi. J’pensais que Facebook, ça pouvait être drôle, éclaté, amusant. Juste avec mes likes, j’dois donner d’la job à 2-3 personnes quelque part dans le monde depuis belle l’urètre. Faut pas sous-estimer ça.
Et si vous fermez mon compte, c’est illico des milliers de filles pas d’un laid choquant qui vont se trouver perdues, déçues, anéanties. Tu veux pas ça, Facebook, hein? Et permet-moi un petit apartheid…
Si jamais tu m’obliges à changer de nom, voici les 2 que je te propose: 1. Brad Pitt 2. Matthin Boneu J’espère qu’on va se voir ass noune ass pussyble, car tu me manques. « Vis ta vie comme si Facebook allait fermer demain ».
Quand j’étais jeune, mes amis m’appelaient « le vieux ». Sans doute parce que je retenais mon souffle, même si j’étais aussi révolté qu’eux. J’avais appris ça dans le sport…et dans les devoirs de philo, au collège. Nous étions début des années 60, des années terribles pour notre jeunesse, qui virent plusieurs de mes complices de notre Révolution mourir prématurément, de morts diverses et pas du tout naturelles…
Aujourd’hui, vieux pour vrai, jamais il ne me viendrait à l’idée d’aller écrire avec un pseudo. Je renierais la jeunesse de mes amis dont je suis un des rares survivants et cela irait à l’encontre d’une jeunesse tardive, la mienne, héritée de la leur sacrifiée.
Je ne suis pas contre les pseudonymes, dans la mesure où c’est un jeu, (un jeu d’enfant!), mais un jeu qui ne saurait se confondre à la vie.
Quand le pseudo vous abolit, faut vite s’en éloigner. Et c’est encore plus dangereux si vos amis croient vous y nommer pour vrai. Et pour de bon…
Un pseudo, c’est une manière de se dire, pas une façon de se nommer. Faut faire la différence et le plus tôt est le mieux, avant que l’âge ne vous garde en mémoire qu’une identité étrangère et invisible, la mère de toutes les démences.