BloguesJulien Day

Le(s) problème(s) avec le vox-pop de Guy Nantel

L’année dernière, à peine quelques heures avant les élections provinciales ayant porté les libéraux au pouvoir, ma collègue Léa Stréliski et moi – intrigués par un vox-pop que Guy Nantel venait de réaliser – avons décidé de reproduire la démarche, au même endroit, équipés des mêmes questions.

Comme nous nous y attendions, les passants interrogés se sont montrés beaucoup moins incultes que ceux qui ont abouti dans la capsule de l’humoriste. Alors que des centaines de personnes relayaient avec un certain soulagement la vidéo en clamant que les Québécois n’étaient pas aussi nonos que le vox-pop de Nantel laissait croire, un malaise tout autre m’habitait.

Contrairement à plusieurs commentateurs, je ne prête pas d’intentions politiques à la démarche de l’humoriste. Et le problème réside en grande partie dans cette absence de considérations.

Nantel aura beau se défendre en disant qu’il rit de tout le monde sans discrimination, le comique politicologue a décidé que pour vendre des billets, il se paierait la tête d’étudiants et de manifestants. Niveau marketing, considérant que son public habituel ne doit pas compter beaucoup de 18-35 ans, force est d’admettre que le « stunt » est payant.

Qu’on aime ou non l’humour de Nantel, le type n’est pas con. Loin de là. Il sait pertinemment que pour chaque personne incapable d’épeler le mot « austérité », il y en a 10 autres qui sont capables non seulement de l’écrire correctement, mais aussi d’en expliquer la nature. Il sait aussi, en sa qualité de politicologue, que les préoccupations des manifestants, peu importe ce qu’on pense des moyens de pression qu’ils utilisent, sont fondées. Après tout, son spectacle s’intitule « Corrompu » et il y aborde en bonne partie les mêmes aberrations décriées par le mouvement anti-austérité. Guy Nantel savait aussi que de tous ses vox-pop, celui-ci allait être le plus viral. Polarisation, sujet d’actualité et humiliation étant trois ingrédients gages de viralité.

Malgré tout cela, l’humoriste a décidé d’humilier les contestataires, tout en s’abstenant complètement de lancer le moindre jab à un gouvernement sur lequel les accusations de corruption et copinage pleuvent, et autres puissants qui se délectent avec mépris des multiples coupures libérales et de la répression systématique de quelconque forme de contestation.

Mais par dessus tout, Nantel – par expérience – savait que cette vidéo allait être utilisée à qui mieux mieux pour discréditer non seulement les étudiants et les militants, mais surtout leurs dénonciations et revendications qu’il sait pertinemment légitimes, même essentielles.

Ajoutez à cela sa publicité pleine page arborant le logo du Journal de Montréal, reconnu pour son intransigeance envers la contestation à gauche, et son entrevue exclusive avec le même journal le lendemain, difficile de ne pas mépriser la démarche. Et ça devient encore plus triste lorsqu’on pense que parmi le large bassin d’analphabètes fonctionnels au Québec, BEAUCOUP d’entre eux sont des consommateurs réguliers du journal qui ont aussi des revendications allant de l’expulsion des Musulmans en Musulmanie à l’augmention de la fréquence des tirs de gaz irritants à deux pouces du visage des étudiants. Mais l’humoriste a plutôt décidé de rire de ceux dont il sait les revendications légitimes… Difficile de mieux illustrer un opportunisme crasse.

L’humour est une arme, et Nantel a décidé de la pointer sur les plus faibles. Un peu comme le policier arborant le carré rouge dénonçant les coupes à son régime de retraite qui tapoche un manifestant. D’une tristesse!

Et, par dessus tout, et ceci s’applique à tous ses vox-pop, Guy Nantel ridiculise des citoyens ordinaires qui – malgré qu’ils aient signé une décharge – ne méritent en rien une telle humiliation nationale qui les suivra longtemps.

Ce matin-là, Guy Nantel s’est levé avec l’intention d’humilier des analphabètes politiques innocents pour vendre des billets de spectacle… à d’autres analphabètes politiques mieux nantis.

Et dire que cet homme nous avait éblouis à la Course Destination Monde il y a une vingtaine d’années… D’une tristesse aussi grande que la facilité déplorable de son humour.