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Les impostures hospitalières

                                                                                                                    elpais.com

 

Selon le site espagnol ContraInfos, la valeur d’un tank Leopard 2E est suffisante pour construire trois hôpitaux. L’armée canadienne en possède quelques-uns, mais je ne sais pas combien. L’armée espagnole aussi, plus de 200, qu’il faut huiler, nettoyer, caresser et nourrir régulièrement en obus de 120 mm. Ces félins de cuirasse aiment bien le sang et le sable.

Pendant ce temps les jours passent et les Léopards 2E mangent à leur faim et sont soignés aux petits oignons, ronronnant gracieusement, parce qu’ils sont si heureux ! C’est la guerre !

Dans la foulée des coupures résultant de la folie d’austérité qui s’est emparée de l’élite économique et politique européenne et mondiale – ou est-ce leur normalité détraquée et hallucinée – le gouvernement municipal de la communauté de Madrid a décidé fin octobre 2012 de privatiser d’importants pans de la Sanidad Pública. 6 nouveaux hôpitaux, construits en 2008, seront gracieusement donnés au privé par le gouvernement local d’Ignacio González, qui espère sauver 200 millions de dollars en agissant de la sorte. À cela doit s’ajouter la privatisation de plus de 27 centres de santé de plus petite taille. En plus de ces institutions, la privatisation s’étendrait aux services non-sanitaires requis par l’exercice du soin : cuisine, buanderies, entretien, etc… La justification habituelle : pour éviter des hausses de taxes et ainsi augmenter injustement votre fardeau fiscal, bonnes gences, nous privatiserons, c’est plus propre, plus efficace et ça respire l’ordre.

Le 27 décembre 2012, l’Assemblée de Madrid entérinait le projet de loi.

À Madrid, la Sanidad elle-même fait pression sur les malades pour qu’ils passent au privé. Certain.e.s patient.e.s en attente d’opérations sérieuses comme des ablations du tumeurs cancéreuses reçoivent des messages téléphoniques leur indiquant que les délais d’attente dans telle ou telle clinique sont raccourcis, pour une période limitée, et que les délais dans le public sont interminables. Or, ces données sont souvent fausses, mais il est déjà trop tard : le patient, craignant la mort à l’orée d’une attente infinie dans les couloirs kafkaïens d’un système de santé vétuste, est maintenant devenu client.

150 médecins ont immédiatement démissionné pour protester. Il n’y a pas qu’eux qui se sont insurgés : le 13 janvier 2013, une marée blanche a défilé sur Madrid. Ce n’était pas la première depuis l’automne et ce ne sera pas la dernière. La grève des médecins de l’Asociación de Facultivos Especialistas a duré plusieurs semaines, pendant et autour du mois de décembre et fin novembre, les syndicats estimaient à 80% leur taux de support dans la population. La fin de leur mobilisation, autout du Nouvel An, visait à fournir l’impulsion à la montée d’un puissant mouvement national. Chose faite, puisque le 17 février, une marea blanca prendra place dans toute l’Espagne. En fait, depuis, ça pleut de blanc au pays d’Almodóvar. Il y a des manifestations chaque jour dans toute l’Espagne en défense de la santé publique, gratuite et universelle. La sanidad no se viende, se defiende ! Le peuple fait tomber des draps blancs aux fenêtres en support à la lutte.

 

Revenons à nos CHUM et CUSM

Plus près de nous, pour faire une petite parenthèse, un récent article de La Presse affirme que le CHUM (dont le plâtre n’a pas encore séché) aurait déjà dépensé plus de deux millions de dollars en trop en ayant en recours à des services de sous-traitance privés :

Entre-temps, les chiffres obtenus par La Presse laissent croire que, comme l’avait suggéré le Vérificateur général du Québec en 2009, la formule public-privé envisagée n’est pas forcément la solution la moins coûteuse. Le syndicat en est pour sa part persuadé, tout comme la Fédération de la santé et des services sociaux, qui mène une campagne contre la privatisation des hôpitaux montréalais. «Les employés du consortium ne demanderont pas des salaires inférieurs à ceux qui viennent actuellement du privé, prévient Pierre Daoust. Ils sont payés selon les prix courants. Si l’entretien coûte plus cher en ce moment avec les sous-traitants, ce sera la même chose avec le PPP[1].

Alors pourquoi, ici comme ailleurs, s’évertuent-ils à nous faire croire à leurs balivernes sur l’efficacité du privé, surtout en santé ? Il faudrait qu’ils lisent Vadeboncoeur et son Privé de soins. Contre la régression tranquille en santé, récemment publié chez Lux.

Pour Damien Contandriopoulos, chercheur à l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal (IRSPUM), que j’ai interviewé un bon matin d’automne, tous les rapports généraux sur le système de santé disent la même chose, qu’ils se nomment Castonguay ou Clair : pour réduire les coûts, il faut sortir certaines activités des hôpitaux, les amener en première ligne et garder les gens chez eux en soins à domicile. À titre informatif, on dit en santé que la première ligne comprend les soins de santé courants qui s’appuient sur une infrastructure légère comme les traitements des blessures, certaines problématiques de santé mentale, les soins de maternité, la santé sexuelle etc…Plus on augmente dans les paliers (seconde, troisième, quatrième ligne), plus les soins seront spécialisés. Ainsi, la seconde ligne s’adresse aux personnes qui doivent s’en remettre à une infrastructure adaptée et une technologie plus lourde, en comprenant les urgences (Direction de la Santé Publique, 2013). La troisième, ce sont les opérations spécialisées et ainsi de suite.

La première ligne, c’est le contact communautaire, le lien organique entre les infrastructures de santé et la population, avec le quotidien, avec la prévention, avec la réappropriation des soins de base, dans la densité du tissu urbain. Le chercheur en santé publique réitère l’importance d’une prise en charge multidisciplinaire des patient.e.s, où les omnipraticiens seraient intégrés aux équipes de première ligne, et pourraient même même gérer la deuxième ligne. Pour Contandriopoulos, il faudrait par ailleurs réduire le nombre de spécialistes et augmenter le nombre d’omnipraticiens. L’association des premiers met de sérieux freins à tout changement structurel du système de santé qui n’aille pas dans le sens d’une privatisation accrue. C’est un secret de polichinelle : les spécialistes font pas mal de fric, surtout les radiologues.

Au sens de D., il faut surtout se poser la question de la pertinence de la dispensation des soins. L’offre crée la demande dans des proportions significatives. Or, la demande et les besoins sont deux choses différentes. A-t-on besoin de dépenser autant pour les produits pharmaceutiques ? Pour la recherche et le développement de machines sophistiquées utilisées en quatrième ligne dans des cas uniques ? Ce sont là de lourdes questions. À titre d’exemple, l’oncologie pourrait devenir – est déjà – un lucratif marché pour les fabricants de Propofol, de Décadron et autres. Cancer et capitalisme.

Cette double vitesse dans notre système est latente, même si on la voit déjà se poindre le bout du nez; les institutions n’attendent qu’un feu vert, comme celui donné par González à Madrid, pour jubiler dans les deniers.

C’est probablement ce qui pousse ces gens à construire ces éléphants blancs que nous connaissons, que sont le CHUM et le CUSM, au lieu de restructurer le réseau en donnant plus de place à la santé de première ligne, communautaire, locale et décentralisée. Tout cet argent corrompu qui nous file entre les doigts. Toutes ces cliniques de quartiers que nous n’aurons pas car il faudra se rendre au centre-d’achat de la biomédecine, surplombant Viger, une zone de Montréal reconnue pour son caractère ressourçant, provoquant immédiatement chez la personne malade un processus de guérison grâce à sa beauté et ses airs purs. Tous ces services de CLSC qui ne seront pas bonifiés.

Les douces effluves de l’autogestion

En guise de conclusion, pour donner des petites idées à la Fédération de la santé et des services sociaux dans leurs luttes contre les privatisations, voici un petit extrait de la déclaration de l’Assemblée générale des employé.e.s de l’Hôpital Général de Kilkis, en Grèce, qui ont décidé en février 2012 d’autogérer leur institution :

Nous travailleurs de l’Hôpital général de Kilkis, nous répondons à ce totalitarisme par la démocratie. Nous occupons l’hôpital public et le mettons sous notre contrôle direct et total. Dorénavant l’Hôpital général de Kilkis aura un gouvernement autonome et la seule autorité légitime pour prendre les décisions administratives sera l’Assemblée générale des travailleurs

Le gouvernement n’est pas dégagé de ses obligations financières en ce qui concerne la dotation et l’approvisionnement de l’hôpital, mais s’il continue à ignorer ces obligations, nous devrons informer le public à ce sujet et nous nous tournerons vers l’administration locale et, surtout, vers la société tout entière pour qu’elles nous soutiennent de toutes les manières possibles en vue de: (a) la survie de notre hôpital, (b) un soutien général au  droit aux soins de santé publics et gratuits, (c) le renversement, par une lutte populaire commune, du gouvernement actuel et la cessation de tout autre politique néolibérale, quelle que soit sa source et (d) une démocratisation profonde et substantielle, à savoir que ce soit la société, et non des tiers, qui soit responsable des décisions sur son avenir.

Quelqu’un.e. sait ce qui se passe à Kilkis un an après ? Pas moyen de trouver de nouvelles là-dessus…