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L’Institut du cancer de Montréal et Enbridge : le fantasme philantropique (écrit avec Pascale Brunet).

concertcontrelecancer.com

Écrit avec Pascale Brunet, organisatrice communautaire et tricoteuse sociale. Ces mots sont écrits dans un deuil constant et trop souvent renouvelé.

Le 15 février de l’an de grâce 2013, un Concert contre le cancer aura lieu à la Maison symphonique, la nouvelle salle de l’OSM sise au coeur du Quartier des spectacles de la ville de Montréal. Au menu, Dvorák, Mascagni, Villa-Lobos, Puccini et Rossini, de même que Marie-Josée Lord en voix. Enbridge, la compagnie pétrolière albertaine qui construira vraisemblablement le pipeline reliant les sables bitumineux aux raffineries de Montréal-Est, en est le principal commanditaire.

Enbridge commandite le Concert pour le cancer.

Pour ceux et celles qui hésitaient et pensaient peut-être y aller, revoici la liste des prix des billets (tiré du site internet de l’Institut du cancer de Montréal) :

L’Institut du cancer de Montréal a réservé d’excellents sièges pour les personnes qui désirent acheter billets (sic) assortis d’un don à l’Institut de cancer de Montréal.

  • Billets à 100$ et à 250$ donnant droit à reçu pour fins d’impôts pour la portion admissible (respectivement 25$ à 175$)
  • Billets à 500$ donnant accès au cocktail Bulles et Desserts suivant le concert (reçu pour fins d’impôt de 350$).
  • Billets VIP à 2 500$ donnant accès au cocktail dinatoire VIP et au cocktail Bulles et Desserts.

Cette (modeste) soirée annuelle servira à amasser des fonds pour un programme nommé Rapatriement de cerveaux. Depuis 2007, selon le même site Internet, « le Concert contre le Cancer a permis d’amasser un montant net de 3 340 000 $ ».

L’articulation université-entreprises

Le programme Rapatriement de cerveaux est ici explicité dans une clarté inégalable :

Le but de ce programme est de générer les ressources financières nécessaires pour permettre à l’axe cancer de concurrencer les grands centres et de rapatrier à Montréal des chercheurs de haut niveau. Pour être le moindrement compétitif, il a été décidé qu’il fallait offrir aux chercheurs talentueux qui ont complété leur stage de post-doctorat un fonds de démarrage minimum de 50 000 $ annuellement pendant cinq ans, et que c’était là une condition essentielle au recrutement des meilleurs.

Il semble que la compétition, inhérente à la mise en marché des savoirs universitaires, est ici mise à nue :

Il a été établi que ces fonds d’établissement constituent non seulement le meilleur attrait pour les candidats, mais aussi un levier et un investissement exceptionnels. En effet, les statistiques démontrent que chaque dollar investi en fonds d’établissement est multiplié par six en fonds de subventions compétitives que les chercheurs peuvent obtenir quelques années après leur établissement.

Loin de nous l’idée de vouloir remettre en question le travail acharné les chercheur.e.s qui tentent de trouver des remèdes aux divers cancers qui fauchent nos familles, nos ami.e.s, nos connaissances, nos amours et peut-être nous mêmes. 

Mais comme l’a si bien démontré Léa Pool dans son documentaire L’Industrie du ruban rose, il faudrait tout de même se questionner à savoir à qui bénéficient réellement ces recherches qui s’interrogent rarement sur les causes toxicologiques et épidémiologiques de l’épidémie actuelle de cancer. Curieux, n’est-ce pas ?

Qui sont les grands gagnants de cette situation mortelle ? Les compagnies pharmaceutiques qui cherchent à mettre en marché de nouveaux médicaments qui génèreront des millions de dollars de profits tout en finançant une partie de leur recherches à même les fonds publics des universités ? Les compagnies privées qui participent activement à la détérioration des écosystèmes et à la toxicité de l’environnement, mais qui nettoient leur image publique en s’associant à la noble cause de la recherche contre le cancer ?

En tous les cas, les gagnants ne sont certainement pas les communautés qui ont été affectées par les désastres environnementaux causés par les fuites des oléoducs, ni les collectivités qui se battent contre les ravages écosytémiques causés par les sables bitumineux. Et ce ne sont probablement pas non plus les chercheur.e.s dont le bras est pris dans l’engrenage des partenariats publics/privés, tissés entre leur université.port.d’attache et des compagnies privées à l’âme charitable.

À titre informatif, voici quelques-uns des partenaires.philantropes de cette soirée et de ce programme d’accès aux chercheurs d’élite : La Presse, la RBC Banque Royale, l’Industrielle Alliance. Dans d’autres catégories: Bell, Deloitte, Alstom, Fasken Martineau DuMoulin, Siemens, Gravol, Transcontinental, AECOM, le Cirque du Soleil, Gaz Métro, Pomerleau, Pricewaterhouse Coopers, Rio Tinto Alcan, Axor Experts Conseil, Les Affaires, le Devoir.

Grotesque farce

Enbrigde, en s’associant à l’Institut du Cancer de Montréal, se paye ainsi une subtile mais efficace campagne de relations publiques: la compagnie peut ainsi continuer à ravager l’environnement, mais assainit son image médiatique en finançant la recherche sur le cancer. Selon le site Watershed Sentinel, Enbridge serait responsable de fuites de plus de 133 000 barils de pétrole depuis 2000 un peu partout en Amérique du Nord, soit la moitié du déversement de l’Exxon-Valdez (pour donner une petite idée).

Les pollueurs polluent, les pharmaceutiques guérissent, les consommateurs consomment, les patients patientent, les riches s’enrichissent et ainsi de suite.

Alain Brunel, sociologue des organisations, consultant en hygiène, sécurité et conditions de travail pour le cabinet Technologia de Paris écrivait dans le Devoir du 3 mai 2005 que :

Le nombre de nouveaux cas de cancers augmente deux fois plus vite que la population au Canada: désormais, 44 % des Canadiens et 38 % des Canadiennes en seront affectés au cours de leur vie. La Société canadienne du cancer a récemment souligné l’urgence de mettre en oeuvre des politiques de prévention pour éviter une crise sanitaire dans le traitement de cette maladie. Mais ses recommandations ne portent que sur l’adoption de comportements individuels «sains » (activité physique régulière, meilleure alimentation et vie sans tabac), comme si aucun facteur externe n’avait d’influence sur la santé des gens.

La farce a assez duré. La lutte contre le cancer ne se gagnera pas à coup de marches et de campagnes de financement. Cet enjeu nécessite une volonté politique des pouvoirs publics de se pencher sérieusement sur les causes de l’épidémie, ce qui inclut entre autres les recherches sur la toxicité et la pollution.

Or, le PQ vient de couper 10 millions dans les recherches en santé. Du côté des conservateurs, des compressions budgétaires importantes dans la recherche ont récement été effectuées dans tous les domaines du savoir, entre autres aux Instituts scientifiques du ministère fédéral des pêches et océans (MPO). Un ancien chercheur des MPO, le chimiste Jean Piuze déplorait le 15 juin 2012 dans le Soleil l’effritement des recherches sur la pollution :

La prétention des Conservateurs est donc à l’effet que la recherche et le suivi effectués à l’heure actuelle par les scientifiques du fédéral dans leurs divers programmes sur les contaminants ne sont plus requis à l’interne et pourront dorénavant être effectués sans problème par les universités et le secteur privé. Avec 10 fois moins d’argent?

Et où va l’argent disparu ? Vous vous souvenez des libéraux qui ont accordé fin juin 2012 un prêt de 58 millions à la mine Jeffrey alors qu’on sait très bien que l’amiante est directement responsable d’une quantité phénoménale de cancers du poumon ?

Combien de temps allons-nous continuer de mourir comme si le cancer était une fatalité due à une malchance individuelle ?

 

Cancer et capitalisme. La solution au premier se trouve dans la fin du second.