Notre « covergirl » du moment, c’est la grande Louise Lecavalier. Une danseuse iconique et mondialement reconnue pour sa fougue (lire: sa violence gestuelle) qui est incroyablement douce au téléphone. Méchant contraste!
Voici, question d’étirer le plaisir, la quasi-intégralité de mon entrevue avec l’interprète et chorégraphe qui présentera (enfin!) So Blue au Grand Théâtre le 31 mars.
C.G. : Quand vous avez commencé avec La La La Human Steps, est-ce que vous aviez l’impression d’être des défricheurs à ce moment-là?
L. L. : Pendant qu’on travaillait en studio je ne me questionnais pas sur ce qu’on était par rapport aux autres, comment les autres pouvaient nous percevoir. […] On faisait quelque chose de nouveau pour nous, mais avant de savoir que c’était très aimé je me suis peut-être demandé si ça n’allait pas passer du tout. Mais ça m’était presque égal que ça passe pas. C’est tellement ça qu’on voulait faire qu’après ça, et jusqu’à un certain point, tu t’en fous de la critique qui va arriver après.
C.G. : De toutes les personnes qui étaient dans La La LA Human Steps, c’est vraiment vous qui ressortiez. Vous êtes ni plus ni moins qu’une icône au Québec et même à l’international pour ceux qui s’intéressent à la danse.
Est-ce que, dès le départ, vous avez eu cette volonté de vous démarquer?
L.L.: Non pas du tout, du tout, du tout. Je pense que ma volonté au départ c’était qu’on ne me remarque justement pas parce que j’avais pas envie d’attirer l’attention particulièrement sur moi. […] J’ai pas pensé que ça m’arriverait non plus mais j’aime travailler dans l’ombre d’une certaine façon. Je pense que c’est la seule façon de travailler librement.
C.G. : Vous avez 37 ans de métier. Est-ce que ça vous fait drôle de danser avec des gens qui ont moins d’années en âge que vous en expérience comme interprète?
L.L.: (Rires) Pour l’instant, y’ont pas moins d’années en âge. Mon partenaire avec qui je travaille en ce moment (NDLR : Frédéric Tavernini) a presque 40 ans, y’a 39 je crois. Mais c’est vrai que j’ai travaillé y’a quelques années avec un mec de La La La Humans de 33 ans, on était peut-être égaux à ce moment là.
Si je regarde des gens comme Frédéric Tavernini qui ont commencé à danser à 4 ans, lui ça fait déjà 30 ans qu’il danse. Y’a pas un si grand écart avec moi!
C.G. : So Blue est présenté par les diffuseurs comme votre première chorégraphie. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de vous lancer?
L.L.: Ce qui paraît dans les journaux et la réalité des choses des fois c’est pas exactement pareil parce que c’est plus facile de trancher entre le noir et le blanc dans le journal et dans la réalité c’est souvent des zones plus intermédiaires que ça.
Je suis pas devenue chorégraphe juste avec So Blue finalement, même si c’est la première pièce que j’annonce que je chorégraphie seule. En fait, j’ai fait une pièce avec Benoît Lachambre y’a quelques années et qui s’appelait Is You Me et qui était une co-création. […] La ligne est ténue parfois entre chorégraphe et danseur.
C.G. : Est-ce que vous avez l’impression que votre gestuelle aujourd’hui est comme la somme de toutes vos collaborations du passé?
L.L.: D’une certaine façon oui parce que la danse pour moi est cumulative. Le corps a une mémoire, même si on voulait s’en défaire je pense que c’est presque pas possible. Mais je cherche toujours des nouvelles avenues, c’est ça qui est à la fois fascinant et difficile.
C.G. : J’ai envie de vous parler de votre partenaire Frédéric Tavernini. Pourquoi le choix s’est arrêté sur lui?
L.L.: Y’a des choix que je fais sans me poser beaucoup de questions. Fred, j’avais déjà travaillé avec lui sur une de mes premières pièces, qui s’appelait Cobalt Rouge, que j’ai fait avec ma compagnie qui était même pas incorporée à ce moment-là. […] C’est un bougeur presque naturel même s’il a toute une grosse technique en arrière de lui parce qu’il a fait toutes les écoles de ballets en Europe. Y’a une super formation de danseur classique mais y’a une liberté dans son corps, une aisance, une fluidité.
C.G. : La pièce s’intitule So Blue. Qu’est-ce que la couleur bleue vous évoque?
L.L.: Au début je pensais à noir pour la pièce. Je pensais rock, dans le tapis la danse, sans compromis, extrême à mourir. C’était ma motivation de base pour partir en création parce que ce que je vis, ce que je ressens est extrême et ce que je vois en danse souvent l’est pas assez.
J’ai commencé comme ça en studio, j’ai travaillé beaucoup avec Daft Punk, des musiques très percussives. Puis j’ai aussi rencontré Mercan Dede, j’ai eu des CDs de sa musique, j’ai commencé à faire jouer ça dans le studio. […] Plus j’ai écouté, plus j’ai été happée par cette sonorité sensuelle et je me suis mis à travailler la danse un peu autrement tranquillement. Y’a quelque chose de plus fluide dans le mouvement. Cette idée de bleu est arrivée, je pense avec cette musique-là moyenne orientale qui apporte des nuances à tout.
C.G. : Quand on vous cherche sur Youtube, la première chose qu’on trouve c’est un entretien de vous avec Edouard Lock et David Bowie.
Ça été tellement important dans la tête dans gens dans votre carrière, mais est-ce que ç’a été un moment charnière pour vous?
L.L.: Pas personnellement pour la danse, peut-être que j’ai réalisé par la suite à quel point ç’a été important pour les autres. […] Ç’a été une expérience différente de tout ce que j’ai vécu avec La La La parce que c’est l’univers de la pop rock. C’est sûr que c’est un dieu de la musique David et j’ai eu la chance de le connaitre, c’est quelqu’un que j’ai beaucoup aimé.
C’était une chance de travailler avec lui pour voir ce que c’est ce rythme de vie-là, cette façon d’être apprécié du public où 50 000 personnes se déplacent pour venir t’entendre et pas tant pour te juger. C’est différent de la danse contemporaine où les gens se précipitent pas pour voir un spectacle convaincu de l’aimer. […] Je suis désolée de le dire comme ça, mais pour moi c’était juste un petit break dans ma vie habituelle de danseuse.
* Quelques réponses ont été écourtées à la retranscription