BloguesLéa Clermont-Dion

Le 99e jour

La guerre n’est que la simple continuation de la politique par d’autres moyens.

Clausewitz

Ça fait aujourd’hui 99 jours. 99 jours de grève, de manifestations, de questionnements, de déceptions, d’attente et de violence. Un 27e soir, aussi, où je m’inquiète pour mes pairs, mes amis, mes camarades. Parce que les tensions montent. Parce que l’on répond à la violence par la violence.

Ce soir, même, je reçois à la tombée de la nuit un texto d’une amie qui travaille pour l’un de ces bars qui a été gazé par les forces de l’ordre ces derniers jours. «Le centre-ville est à feu et à sang. Pleins de blessés. Peut-être un mort. C’est la folie au bar. Les gens accourent à l’intérieur pour se protéger. Je suis bouleversée.» Le réalisme de cet échange témoigne de ces derniers 99 jours où angoisses, peurs et violences ont constitué une laide combinaison, réponse à un échec démocratique. Bonne journée des patriotes tout le monde.

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Ça fait près de 99 jours que je passe environ cinq heures quotidiennement devant mon ordinateur à suivre de près l’actualité. Le temps a passé vite, vraiment vite. Quand j’y pense, ça fait environ 495 heures, donc environ vingt jours consécutifs où je suis restée seule devant mon écran LCD à décortiquer les moindres avancements de la crise. Sans compter les heures de militantisme, d’écriture, de lecture, de marche… Constat: 29 7000 minutes d’attente, d’action, d’attente, d’action, d’attente.

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Ce qui est un peu inquiétant, c’est que quand j’y pense de plus près, chacune de ces minutes a précédé une envie, celle de la résolution de conflit. Si j’avais eu une psy, voici ce que je lui aurais confié: « Je me sens devenir un peu dingue avec l’actualité. Incapable de décrocher complètement. C’est drôle, je sens que je perds contact avec la réalité avec tout ce qui passe. Une psychose politique individualo-collective, ça se peut tu?» Ce à quoi elle m’aurait peut-être répondu: «Mais ça vient de l’attente, chère Léa…»

Cet atermoiement non-nécessaire qui nous a été imposé par notre gouvernement a donné lieu à une désillusion profonde face aux institutions démocratiques. Le pire sentiment qu’ait pu nous infligé les Libéraux est celui d’attente infernale. Nous faire poireauter ainsi pendant ces 99 jours nous auront fait perdre la notion du temps. L’attente, on le sait, a donné lieu à quelques propositions inacceptables du gouvernement puis à une véritable déroute démocratique par l’adoption du projet de loi 78 à 68 voix pour, 48 voix contre. L’arrogation du pouvoir judiciaire par l’exécutif marque une triste époque pour la démocratie.

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Sur la désobéissance civile

Revenons-en à la rue. Car, c’est bien celle-ci qui nous intéresse aujourd’hui, 99e jour de grève.

À force d’attendre cette foutue résolution de conflit, ce qui n’arrivera pas de sitôt avec l’adoption de la loi 78, je commence à comprendre les casseurs. Comme je ne suis pas porte-parole d’aucun groupe, je me permets ce coming-out. En plus de brimer les droits fondamentaux d’expression, la loi 78 tente de nous clouer le bec vulgairement pour nous faire mieux attendre. Encore.

La désobéissance civile s’apparente à une action politique illégale et non-violente fondée sur des motifs de conscience et destinée à modifier une loi ou à contester l’ordre juridique dans son ensemble. En 99 jours,  je suis rendue presque sympathisante de celle-ci. Je ne crois pas qu’elle soit pour autant très stratégique (le grand public ne nous aimera pas plus), mais elle exprime la colère des uns et fera peut-être évoluer ce statu quo.

Je souhaite, vraiment très sérieusement, qu’il n’y ait pas une victime plus grave dans toute cette histoire. Après 99 jours, je suis réaliste et appréhende le pire de soir en soir.

Le 99e jour n’est que le début d’une crise sociale. Profonde, envenimée, sérieuse. Restons solidaires et refusons d’obtempérer, d’obéir et de se soumettre, comme dirait Michel Chartrand.