BloguesLéa Clermont-Dion

L’éducation sacrée

Je sais. Je ne devrais pas écrire ce billet ce matin. Il faudrait plutôt que je redouble d’efforts pour terminer ma session à l’UQAM et en débuter une autre en simultané à Sciences Po Paris. Mais, je ne peux m’empêcher de mettre sur papier cette réflexion très simple et banale en cette rentrée estudiantine. Je ne vous parlerai pas d’élections, je ne vous parlerai pas de Legault ni de Charest. Je vous parlerai de ma découverte du printemps.

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À la fin de mon primaire, j’étais une première de classe. Hyperactive, je faisais partie de ces bolés qui passaient leur temps à la bibliothèque. Je me rappelle dans la cour d’école, à dix ans, je dévorais la biographie de René Lévesque, écrite par Pierre Godin. Je me suis arrêtée au quatrième tome, parce que je connaissais bien la suite de l’histoire. La fin me déprimait particulièrement. Vous comprendrez pourquoi.

À partir du secondaire deux, j’ai vite découvert que je ne cadrais pas tout à fait dans le le cursus traditionnel élitiste de l’éducation. Rapidement, je me suis aperçue que les meilleurs seraient destinés aux sciences. Oui, on nous répétait que les étudiants les plus doués étaient ceux qui se consacreraient aux mathématiques, à la physique et à la chimie. Et moi, je n’en avais rien à foutre de notions algébriques. J’avais envie de lire Platon, Machiavel ou Bourdieu. Mais rien de cela n’était vraiment possible. J’ai bien vite saisi à quel point les sciences humaines étaient dévalorisées à l’école publique. (Je ne peux pas parler pour le privé, je ne l’ai pas fréquenté)

J’ai fait mon secondaire dans une polyvalente qui offrait un programme d’éducation internationale. À partir de secondaire trois, j’ai commencé à sécher beaucoup de mes cours (mes anciens collègues pourront le confirmer: «Léa, on ne la voit jamais», disaient-ils). Je m’impliquais, je faisais de la radio, je voulais changer le monde ailleurs qu’en classe où je ne me sentais pas à ma place.

Je me rendais donc, contre mon gré, à la polyvalente jour après jour comme un forçat qui fait son temps en prison. Pour plaire à la famille, j’ai choisi l’option bonne à prendre, celui des sciences. Déprimée, je me disais secrètement que mon plus grand souhait serait de lâcher l’école. Oui, oui. Lâcher l’école. Tout le monde autour de moi voulait devenir pharmacien, médecin, dentiste. Et puis, moi, je disais différent des autres. À 16 ans, je lançais un peu blasée:«Ça sera peut-être science politique, philo pour moi.- Pour faire quoi Léa? -Pour faire….Euh? Pour comprendre et questionner.» J’étais un extraterrestre.  J’ai fini le secondaire avec des notes excellentes, mais blasée à l’os du système scolaire.

J’ai choisi un programme pratique de communications au cégep, influencée encore une fois, par la vague de la professionnalisation des études autour de moi. Les grandes questions posées par les sciences humaines m’ont manquée au cégep. Encore une fois, j’ai eu le syndrome du forçat, celui de la légume qui s’en balance de l’école et qui a l’impression de perdre son temps. Je m’excuse encore au près de mes enseignants. Il y a eu une exception au cégep, une lueur d’espoir dans mon cursus scolaire pour le moins soporifique, celui de la philo. Mes profs de philosophie, eux, posaient des questions sérieuses sur le monde. J’étais motivée à me rendre à leurs cours. Ils me sortaient de ma torpeur et ils m’ont donnée le goût de comprendre et de réfléchir réellement. Je les remercie d’exister.

Quand j’entendais certaines personnalités politiques nous réitéré à quel point l’école était importante, je n’y croyais pas trop. Blasée. Oh que j’étais blasée. À quoi ça sert l’école? Se trouver un boulot? Bah, pourquoi j’étudie en science politique à l’université, alors? Pourquoi j’étudie tout court? Je vais me retrouver à faire des films, de la radio, peut-être de la télé. Ça c’était la Léa blasée d’il y un an.

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Mais, il y a six mois, mon regard sur l’éducation a radicalement changé. Pour la première fois de ma courte existence, depuis mes premiers moments de la maternelle, j’ai pris une pause estudiantine. Une longue pause? Oui, comme beaucoup de jeunes québécois. Six mois, pour moi, c’est très, très, très long. Et j’ai compris. J’ai compris à quoi servait l’école. L’école s’effrite au nom de la professionnalisation, de la rentabilité, des exigences du commerce. Avec la grève, le combat des derniers mois, je n’ai jamais autant lu de ma vie. J’ai lu, pas par obligation, pas pour penser à ma future job, j’ai lu pour comprendre ce qui se passait autour de moi. J’ai lu parce que les médias ne répondaient pas à mes questions. J’ai compris, aussi, que l’éducation perdait son rôle qu’elle avait autrefois alors qu’elle était plus humaniste. L’éducation perd son autonomie morale au nom d’un changement sociétal profond, un changement qui tend vers une mercantilisation du savoir.

Si l’école avait un tant soit peu promulgué davantage les sciences humaines, même si elles ne sont pas rentables, j’aurais probablement été une élève bien plus assidue, une élève curieuse qui se sent valorisée. La grève m’aura donc appris plusieurs choses: le goût réel de comprendre, de lire, de m’interroger. Mais, elle m’aura surtout appris à quel point l’école est sacrée.