BloguesLéa Clermont-Dion

Petite réflexion sur la fonction de sécurité

Images de l'attentat de Boston- Source: Melty.fr

 

«Le progrès et la catastrophe sont l’avers et le revers d’une même médaille»

Hannah Arendt

Peur : Du lat. pavor «émotion qui saisit; crainte, épouvante, effroi».

Sécurité : lat.securitas (dér. de securus « exempt de soucis ») « absence de soucis; sécurité, sentiment d’absence, de danger; tranquillité d’esprit »

Avec la collaboration de Florian Micco et Matthieu Lhommedé

Dans les derniers jours, les médias ont démontré comment leur couverture s’ancre parfois sur un vocable du vide. Les événements de Boston sont profondément tragiques. Néanmoins, il aurait été pertinent d’approfondir certaines questions nécessaires plutôt que de répéter constamment la même information qui évolue si lentement en temps réel.  Avertissement au lecteur, ce texte n’a rien de la couverture d’Anderson Cooper ni du commentaire singulièrement émotif de Richard Martineau, mais il tente de retracer l’avènement du concept de sécurité allié à l’émergence de l’État moderne dans une lecture plus large que spécifique.

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La symbolique d’un geste de violence comme celui posé à Boston dans un contexte sportif et d’émancipation individuelle, est fascinant. Hypermédiatisé, porté mondialement, le sentiment d’insécurité est renforcé par les médias traditionnels et 2.0. Pourtant, dans un contexte de mondialisation, les menaces sont de plus en plus complexes.

Certes, la problématique sécuritaire se trouve au cœur de l’Etat depuis son affirmation au cours des siècles jusqu’aux débats politiques contemporains. Raison même de l’existence de l’Etat, la fonction de sécurité se joue tant dans le maintien de l’ordre public au niveau national, que par la maitrise de menaces plus ou moins sensibles au niveau international.

Comment la démocratie pourrait-elle s’établir pleinement sans garantie de la sécurité pour les citoyens ? Alors  qu’aujourd’hui, le respect de l’intégrité corporelle semble être la norme pour les individus et que la stabilité du système politique apparaît comme acquise, la peur de l’insécurité demeure une préoccupation citoyenne majeure. Cependant, comme le montre Baldwin (1997 : 24), l’insécurité demeure un concept à la définition vague. En effet, la médiatisation des faits divers et l’instrumentalisation des statistiques de criminalité font surgir dans l’opinion publique un sentiment d’insécurité, révélant une confusion conceptuelle. Il conviendrait alors d’opérer un retour théorique sur cette dernière. En effet, le but de la sécurité est avant tout la réduction des menaces militaires et non-militaires (David et Roche, 2002). Elle a alors deux facettes : une objective, qui tient par exemple de la limitation des armes ;  l’autre subjective, qui relève de l’intention de nuire. Dans ce cadre, c’est toute la place de l’Etat qui est mise en doute, lui qui doit désormais composer avec les peurs individuelles et sociales et répondre à l’accusation de manquer à son premier devoir régalien, celui d’assurer la sécurité de ses citoyens.

Ainsi, l’Etat est chargé de réaliser sur son sol un « état de sécurité » concret, qui se définit par l’absence de menace, (David, 2000), mais aussi une situation dans laquelle l’individu est rassuré, conférer le sentiment de sécurité, nécessitant la mobilisation de ressorts symboliques et un appui institutionnel.

 

Un retour théorique

Hobbes avec De Cive (1642) et le Léviathan (1651) avance, nous le savons, que le passage de l’état de nature à l’état de société s’incarne ainsi pour assurer l’ordre. Donc, le sens commun va l’emporter, la peur d’être détruit va amener les citoyens à vivre ensemble. « L’homme est un loup pour l’homme » . Chez Hobbes, celui-ci  doit se soumettre à l’«Autorité» de l’Etat. L’Etat a nécessairementl’obligation d’assurer la sécurité de ses citoyens et en cas d’échec, il peut être destitué.  La sécurité est alors définie comme une tâche primaire de l’Etat dans la constitution de sa souveraineté et dans son processus de formation. Pour s’imposer dans la société, il va devoir alors contrôler tout groupe menaçant sa souveraineté   Il s’agit du premier secteur de la sécurité, la sécurité politique (Buzan, Waever & de Wilde, 1998).

Montequieu appuie, quant à lui, les écrits de Locke en déclarant que les régimes doivent assurent la sécurité par la loi et la modération, (De l’Esprit des Lois, 1748). Il repense la législation criminelle (par la modération des peines) et esquisse les premiers traits du Code Pénal. Rousseau et le Contrat Social (1762) concrétisera la pensée de ses prédécesseurs et tout en critiquant la vision pessimiste de l’homme de Hobbes. Il insiste sur la nécessité de la légitimité de l’Etat plutôt que sur son autorité afin d’instaurer un climat social paisible. 

Paolo Napoli dans son son ouvrage, Naissance de la police moderne : pouvoir, normes, société, constate cette application des règles juridiques et vérification des entorses par la police administrative et armée  où il existe une forte structuration et hiérarchie (bureaucratisation). L’urbanisation de la population engendre un nouveau type de criminalité entraînant la mise en place d’un service d’ordre urbain.

Comme l’explicite Jean Delumeau dans Rassurer et protéger : Le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois (1989), avec la montée du  nationalisme, on observe le développent d’un sentiment d’appartenance engendrant la constitution d’une communauté nationale, ce qui permet à l’Etat d’asseoir sa sécurité à deux niveaux. On note d’abord un point d’ancrage interne : renforcement de la cohésion entre la population et développement de la solidarité ce qui fait en sorte que la sécurité devient ainsi une norme et une cause nationale par la création d’une communauté (Greenfeld) On explicite aussi un deuxième niveau, celui-là externe qui s’ancre dans le risque de conflit avec d’autres pays. L’État peut ainsi disposer d’une armée et d’une résistance civile efficace. Comme le souligne Mann (1993), la compétition et la rivalité entre les Etats en Europe a favorisé le nationalisme qui a facilité la mobilisation populaire dans l’armée et donc la survie de l’Etat.

Prévenir les actes involontaires et les actions préméditées : « prévoir l’imprévu »

Ainsi, le devoir de prévention de l’Etat  s’ancre notamment dans la tâche d’anticipation et de limitation des risques et des menaces : il doit être en permanence prêt, ce qui suppose qu’il contrôle parfaitement l’ensemble de son territoire (Poggi, 1990).  À titre d’exemple, celui-ci doit alerter ses citoyens pouvant être exposé à des risques naturels (inondations, tremblements de terre…), prendre des mesures exceptionnelles (renforcement du contrôle : (pleins pouvoirs, article 16, employés notamment par De gaulle pendant la guerre d’Algérie). Il doit également s’assurer de la communication et d’information.  Pour être efficace et assurer au mieux son devoir de protection, l’Etat doit faire entendre son action auprès de la population à renforce sa légitimité. Finalement, celui-ci assure une responsabilité de régulation par l’institutionnalisation de la sécurité est aussi la normalisation de l’activité humaine. Le devoir de secourir de l’Etat s’incarne dans le fait qu’il ne peut pas abandonner la communauté et doit assurer dans la mesure du possible leur survie.

 

Un contexte de mondialisation

Dans un contexte actuel de mondialisation, on observe le renforcement de nouveaux dangers à travers le terrorisme, cyber attaque, grand banditisme, risques sanitaires  comme la contamination ou les épidémies, etc.

Didier Digot, s’intéressant aux critical security studies, constate comment la délimitation entre sécurité intérieure et extérieure est déstabilisée. Avec le changement international, on est amenés à élargir ce concept.

Le discours des gouvernements insiste particulièrement sur la notion de terrorisme. Force est de constater qu’aujourd’hui, cette notion est quelque peu datée. Cette menace n’aura très certainement pas pris l’ampleur que les élites politiques avançaient dans les années 2000. Cela nous rappelle d’ailleurs l’influence de la politique étrangère de Georges Bush colorée par la doctrine néo-conservatrice et obsédée par le sentiment de sécurité.

Comme le démontre cet extrait du Livre blanc de 2008 commandé par le gouvernement  français de Sarkozy, le terrorisme est un concept ayant été favorisé par les gouvernements. (Jean-Pierre Mallet, Libre blanc, 2008) : «Le terrorisme a franchi un seuil historique et changé d’échelle le 11 septembre 2001. Il a provoqué un traumatisme aux États-Unis, l’opération militaire en Afghanistan qui a renversé le régime des Talibans, la fragilisation du Pakistan et, indirectement, la guerre en Irak. Les attentats de 2001 et ceux qui ont suivi, en Europe notamment (Madrid 2004, Londres 2005), ont marqué un tournant dans l’ampleur, la diffusion, les modes opératoires et l’efficacité des réseaux terroristes. »

Et le discours politique a ciblé comme menace principale ce terrorisme comme l’illustre également ce passage d’un rapport émis par la Commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en 2007 : «Le terrorisme est devenu capable de frapper au cœur de tous les pays, à une échelle de violence sans précédent, avec un degré de préparation internationale et d’intensité dans l’action jamais atteint auparavant par des groupes terroristes.»

Les gouvernements occidentaux (France, États-Unis, etc.) avancent que cette menace est de plus en plus répandue dans les différents territoires des pays à travers, notamment, des implantations multiples. Aux dires des gouvernants, la criminalité organisée exploite les avantages de la mondialisation et l’effacement des frontières. De surcroît, la sécurité énergétique ne peut se concevoir qu’à l’échelle globale. Le contexte de mondialisation amène une vulnérabilité des systèmes d’information n’a ni territoire ni frontière et il en va de même pour les risques naturels ou sanitaires. 

Or, face à cette identification d’une menace terroriste par les élites politiques, c’est sans surprise que nous constatons une augmentation majeure des dépenses militaires depuis le tournant des années 2000.

Cet effort mondial s’est résulté d’abord dans une nette baisse dans les années 1990, fin de la Guerre froid oblige. Mais, au tournant des années 2000, on observe une augmentation des dépenses militaires, cela étant expliqué entre autres par l’identification cette menace construite du terrorisme. L’effort de défense mondial  était, en dollars constants de 2007, de 867 milliards de dollars en 1998, a atteint 1 204 milliards de dollars en 2006 : il est remonté au niveau du début des années 1990. (Commission chargée de l’élaboraion du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en 2007 ).

Cet accroissement mondial des dépenses provenait largement de l’Amérique du Nord. Les États-Unis ont en effet vivement augmenté en 2002 un effort qui a connu, depuis, une croissance plus rapide que leur produit intérieur brut (PIB). Ils sont le principal déterminant de la tendance mondiale à la hausse.

 

Sécurité et Insécurité : une distorsion subjective et théorique

L’apport de la pensée politique nous permet de déterminer une grande tangente de l’évolution du sentiment de sécurité dans l’histoire. Mais, qu’en est-il de cette notion profondément humaine? La sécurité subjective peut être abordée sous sa dimension psychologique. On constate que le sentiment d’insécurité peut entraîner un décalage entre les faits et le ressenti. L’insécurité est une situation ou la survie de l’individu incertaine et menacé tel que défini comme état primaire (proche du contexte hobbésien). Comme l’avancent Buzan & Ulman (1983), des facteurs non matériels comme l’environnement et les identités entraînent de nouveaux conflits et créent un sentiment d’insécurité transformé. Jean Delumeau dans Rassurer et protéger : Le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois (1989) associe le rôle de la peur au fait que la sécurité repose sur les sentiments et non les faits objectifs. Robert Castel démontre, pour sa part, que l’insécurité sociale provoque sentiment de mal être et dissout les liens sociaux. Une réponse peut alors être amenée par le tout sécuritaire qu’on peut concevoir comme un retour au conservatisme alors que les valeurs post-matérielles ont entraîné un changement idéologique.

 

Les clivages politiques représentent deux visions de la sécurité

La naissance de l’Etat, au XVIème siècle, a évolué dans un climat de terreur, de violences et de désolation en Europe, une période historique sombre dans laquelle l’humanité ne croyait plus en sa survie, en son avenir. L’avènement de cet État s’est opéré non pas sans confrontations sanglantes entre pouvoir religieux et politique ce qui marquera ainsi un sentiment d’inconfort chez les uns et les autres. Dans ce contexte trouble, la sécurité s’est imposée, dès lors, comme un enjeu fondamental relié intrinsèquement à l’existence même de l’Etat. Il n’a cessé, au cours du temps, de l’être. L’Etat a ainsi été confronté à une problématique sécuritaire en perpétuelle évolution, devant s’adapter le plus rapidement possible sous des contraintes nouvelles. De cette manière, il a dû mettre en œuvre diverses opérations autant au niveau de la prévention que de la sanction, ce qui s’inscrit pleinement dans son processus d’évolution jusqu’à ce qu’il devienne l’Etat-Providence.

Au final, il existe une opposition entre une vision réaliste et conservatrice (droite) et une vision optimiste et ambitieuse (gauche) ?  «À une vision du monde de droite, (…)  pessimiste de l’Homme qui le fait vivre dans un monde d’insécurité et de compétition, répondrait une vision du monde de gauche, plus confiante en l’humanité de l’Homme et dans la nécessité pour l’État de protéger les citoyens d’une société génératrice d’inégalités. Dans le premier cas, l’égalité est définie en termes de droits individuels, dans le second de droits sociaux.» (Hastings, 2011 : 60). 

Alors qu’aujourd’hui  une hypermédiatisation de la criminalité et des menaces s’impose, le spectre du sentiment de l’insécurité semble être plus complexe que jamais tel que nous l’a démontré l’évènement tragique qui s’est déroulé à Boston cette semaine.

 

Bibliographie sommaire

 

BALDWIN, David Allen (1997). « The Concept of Security ». In : Review of International Studies, vol. 23, n°3, p. 5-26.

 

BUZAN, Barry, WAEVER, Ole & de WILDE, Jaap (1998) Security. A New Framework of Analysis. Lynne Rienner Publishers, 239 p.

 

DAVID, Charles-Philippe et ROCHE, Jean-Jacques (2002). Théories de la sécurité. Définitions, approches et concepts de la sécurité internationale. Paris, Montchrestien, 160 p.

 

DELUMEAU, Jean (1978). La Peur en Occident, XIVème – XVIIIème siècles : Une cité assiégée. Paris, Fayard, 486 p.

 

DELUMEAU, Jean (1989). Rassurer et protéger : le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, Paris, Fayard, 667 p.

 

GREENFELD, Liah (1992). Nationalism. Five Roads to Modernity. Cambridge, Mass : Harvard University Press.

LYON, David (2003). Surveillance After September 11, Polity Press.

MANN, Michael (1993). The Sources of Social Power. Vol. II. The Rise of Classes and Nation – States, 1760-1914. Cambridge University Press.

 

NAPOLI, Paolo (2003).  Naissance de la police moderne : pouvoir, normes, société, Paris, La Découverte, « Armillaire » 307 p.

 

POGGI, Gianfranco (1978). The Development of the Modern State. A Sociological Introduction. Stanford University Press.

 

PRINCIPE, Michael L. (2004).  « Les libertés civiles oubliées ». In : Projet, n° 279, p. 85-90.

 

SALAS, Denis (2008). « Etat de sécurité ou Etat de droit ?  L’hésitation française ». In : Études, Tome 408, p. 463-473.

 

VIDAL-NAQUET, Pierre (1989). Face à la Raison d’Etat : un historien pendant la guerre d’Algérie, Paris, Découverte.