C’était la première minute de silence que j’observais. J’avais sept ans. Dans mon monde, sept années avaient donc réussies à s’écouler sans drame. Mais ce matin-là, nous découvrions l’absurdité et la combattions par le silence. Ce qui, dans une classe de 2e année, n’était pas une mince affaire.
Je me souviens que debout derrière mon pupitre, j’avais trouvé la chose solennelle. Importante. J’aimais les rituels. Ou du moins, j’étais rassurée que les humains en aient. Pour officialiser ce genre de choses. S’unir dans des moments pareils.
Je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait. En même temps, y avait-il quelqu’un qui comprenait ? Ce que je savais, c’était qu’à quelques rues de l’école, s’était passé un drame. Une tragédie. Je me souviens des images de voitures de police, je me souviens de la proximité du drame et de l’inquiétude de ma mère.
14 femmes tuées à bout portant. C’était les filles que l’on visait, elle en avait mis deux au monde. Je ne sais pas comment j’aurais réagi en tant que mère. Probablement de la même manière que je réagis maintenant chaque fois que notre monde pond une nouvelle absurdité. Par la rage. La rage d’une mère, la rage silencieuse qui ne parle pas, mais éponge les fronts. La rage de voir ceux que l’on aime, de près ou de loin, souffrir, mourir, puis se sentir impuissante.
Quand on est mère, on ne parle pas de ces choses-là, on ne peut pas parler, car devenir mère nous rend trop vulnérable. On ne le dit jamais, mais la maternité raccourcit la distance qu’il existe entre nous et le monde.
Faire naître un enfant ouvre une porte d’empathie. Un contact. La vulnérabilité de ton nouveau-né te relie à celle du monde. La distance qui te sépare des autres n’est plus jamais la même. Tous les enfants deviennent un peu les tiens, car tu sais bien qu’ils sont tous les mêmes. Qu’ils ont tous les mêmes besoins. Et la même innocence.
Alors certaines choses ne deviennent plus supportables. Par survie, tu ne regardes plus les nouvelles, tu te gardes un bras de distance avec certaines histoires, certains films même, car tu ne peux plus les voir. Ça fait trop mal. La porte d’empathie ne peut plus être refermée, elle te donne un accès direct à la souffrance des autres, trop de choses deviennent d’une absurdité innommable.
C’est donc aux mères que je pense en ce 6 décembre 2012, vingt-trois ans plus tard. À celles qui ont perdu leur enfant ce jour-là, toutes celles qui ont perdu leur enfant, et qui ont vécu la rage silencieuse. La rage du décès de l’un des leurs et la rage de l’incompréhension. La rage d’avoir mis un enfant au monde qu’on leur a retiré.
C’est à elles que je pense et à moi qui suis maintenant maman. De deux garçons, que j’espère, je saurai élever dans le respect des femmes.