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Un film

Jeudi jazz au Ste-Angèle, avril 2011, par Laurie Boisvert

Il est minuit et c'est pluvieux, humide, le genre qui transperce les os. Je souffle ma dernière bouffée de cigarette en regardant l'affiche discrète du Ste-Angèle, cette institution dans laquelle je ne suis pourtant jamais encore entrée.

Je pousse la première porte. Puis la deuxième, vitrée, d'où je vois la minuscule pièce calfeutrée. Les gens présents ont les yeux rivés sur les musiciens du groupe jazz, ou plutôt sur les doigts agiles du contrebassiste qui pince les cordes de sa bête sans jamais en démordre. Les tables de bois usées, elles, s'entassent à travers les sons du saxophone qui s'époumone, à la fois suaves et grisants. Une goutte de cire chaude coule et s'abandonne parmi un des lampions allumés ici et là, et, au même moment, le tintement assumé de la baguette sur la cymbale éveille les bouteilles de single malt au-dessus du bar. Un frottement de caisse claire m'enivre à nouveau et mon regard s'égare, plus loin.

Et c'est là, à ce moment précis, qu'il apparaît. Assis au bar, tout près de la vieille caisse enregistreuse, le dos droit et son pied tapant constamment, comme pour accompagner le batteur, un imposant vieil homme sorti tout droit d'une boîte de jazz des années 40 illumine la place. Il marmonne (des notes de musique peut-être) avant de laisser poindre un sourire en coin presque dissimulé sous sa soyeuse houppe blanche. Sa tête se balance à chaque cri du saxophone et ses yeux se ferment pour savourer le moment ou s'en remémorer d'autres, je ne sais pas. Il fait pianoter ses grands doigts expressifs sur sa cuisse et hoche de la tête en guise de bienvenue à toutes les personnes qui entrent. Un film.

Je me commande un scotch et, complètement charmée par l'atmosphère de la l'endroit, je me remémore ce que disait le musicien jazz Stéphane Grappelli:

"Le jazz, c'est ce qui nous permet d'échapper à la vie quotidienne."

Je n'en doute plus.