Le Cercle, mai 2011 par Laurie Boisvert
Cercle: réunion de personnes. Désigne également le lieu où elles se réunissent.
Je décide de commencer ma soirée côté resto. C'est plein à craquer. Même l'hôtesse que j'aperçois au loin avec sa robe de soie vintage semble sur le point de craquer, elle aussi. Elle esquisse un sourire, range ses courts cheveux derrière son oreille, puis détourne le regard et, pensant que je ne la vois pas, cale un fond de rouge tout en s'esclaffant car un de ses collègues l'a surprise. Rien de déplacé, rien d'exagéré. Juste un stress de restauration à passer.
Les écrans diffusent des images en boucle, des photo shoots diaphanes sur lesquels les mannequins ont des airs de Jane Birkin avec leurs cheveux entremêlés et leurs incisives espacées.
Pourtant, personne ne s'y attarde. Ou presque.
Tout le monde est trop occupé à écouter Fred s'exprimer lascivement sur le nouveau jus d'importation privé qu'il vient de faire entrer. Et à y goûter. À grignoter le parfait grilled cheese sur une trame de rires trop forts et de grandes discussions entre amis; vous savez, le genre qui donne envie de changer le monde. À remarquer la veste de jean délavée ou les lunettes exagérées d'un tel ou d'une telle. À zieuter la troupe de théâtre indépendant qui est venue décanter après sa performance. Ou à observer du coin de l'œil le plus que connu auteur-compositeur-interprète qui siffle ses verres de bulles fines dans le temps de dire "c'est beau comme on s'aime".
Pourtant, c'est le cercle ouvert calligraphié représentant l'endroit qui me fascine. Cet enso, en japonais, qui exprime le moment présent et qui, incomplet, symbolise qu'il n'est pas indépendant, mais qu'il fait partie d'un tout. Un peu comme moi dans notre petit cercle à nous, assis dans ce grand cercle gourmand.
On a d'abord parlé d'une utopie: d'un idéal, d'une perfection qui mettrait nos sens en éveil. Puis, en extase.
À ce moment, la ville n'était pas prête, pas mûre.
Et puis, il y a eu cette renaissance: ce souffle qui chatouille l'âme, les yeux, la langue. Et tous nos sens.
Le Cercle.