Le punk et la musique folklorique font bon ménage depuis longtemps en province, mais étrangement, le trad québécois ne fait presque jamais partie de l’équation. Le groupe Carotté, originaire de Neuville, change la donne et met le feu dans le champ de blé d’inde avec leur premier album, Punklore et Trashdition. Entrevue avec «Médé» Langlois, fondateur, guitariste…et agriculteur.
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Voir: Comment t’est venu l’idée de mélanger le punk et la musique traditionnelle québécoise?
Médé Langlois: Ça s’est fait naturellement. Je suis né sur une ferme que possède ma famille depuis 1667 – Je suis la 11e génération sur la terre – Fait que veut, veut pas, le folklore, je suis né là-dedans!
Tes ancêtres étaient aussi des musiciens en plus d’être des agriculteurs?
Ah oui! À l’époque, les agriculteurs travaillaient à tous les jours comme aujourd’hui et le seul moyen de s’évader, c’était de descendre au village avec leur guitare et leur banjo pis de se faire des veillées, danser le set carré et prendre un petit verre.
Et comment tu es venu au punk?
Ben, je suis né dans le folklore, mais j’ai grandi dans le punk. J’ai eu plusieurs groupes punk [dont les Houlala] et j’en suis un gros fervent depuis que j’ai 14 ans. J’adore le trad, mais on dirait que des fois, faut que ça punch un peu plus! À un moment donné, je me suis dit qu’il faudrait ben faire de quoi qui ne se fait pas encore, du punk trad québécois. Ça se faisait au niveau celtique, mais pas encore avec nos traditions à nous autres. Donc, j’ai décidé de mélanger les deux milieux. Je suis allé chercher 3 musiciens trad qui jouaient dans les Quêteux [Étienne Bourré-Denis, Simon Lavallée et Manuel Lavallée], et 2 autres musiciens issus du milieu punk [Max Doré et Éric Laberge, qui ont notamment fait partie du groupe Éric Panic]. On est 6 musiciens, 50% trad, 50% punk!
Les musiciens trad étaient ouverts au punk?
Oui, quand ils étaient plus jeunes, ils avaient fait partie de groupes punk.
Et à l’inverse?
Aussi! C’est un peu dans toutes nos racines. Tout le monde baigne dans le trad à un moment ou l’autre de l’année, pendant les Fêtes, la Saint-Jean, le Carnaval…
On parle du punk et du trad. Quels sont les points communs entre les deux styles? Où vous rejoignez-vous tous?
À l’époque, le trad était quand même un peu underground. Le monde avait pas le droit de danser donc ça devait se faire en cachette. C’était un peu les punks de l’époque qui jouaient avec plusieurs interdits. Les deux styles partagent beaucoup de facettes, c’est super facile à marier dans le fond!
Pourtant, au Québec, vous êtes parmi les premiers à le faire. Ici, les groupes qui font du folk punk s’inspirent de lointaines racines irlandaises, écossaises ou bretonnes, mais ils boudent leurs racines québécoises, pourtant souvent plus près d’eux. Je comprends pas…
Moi non plus! [rire] Nos racines sont tout le temps laissées de côté…
La musique trad est souvent perçue comme quétaine. On pense à la Soirée canadienne qui est regardées au 2e degré sur Youtube. J’ai l’impression que les musiciens qui tripent sur la musique trad ne puisent pas du côté québécois à cause de cette perception. Ils préférent l’image de l’Irlandais bagarreur et du guerrier en kilt que celle du mononc’ qui giguent…
Pourtant, c’est vraiment pas quétaine! Il y a des chansons d’autrefois avec des paroles qui ne passeraient même pas aujourd’hui!
Où trouver ces chansons-là?
Dans les archives! De notre côté, on s’inspire de beaucoup de chansons du domaine public.
Puisque peu de groupes osent revisiter la musique folklorique québécoise, vous sentez-vous investis d’une sorte de mission?
Pas tant. Pour nous, ça va tellement de soi! Quand on va dans d’autres pays, on trip sur la musique de là-bas, mais on oublie de regarder aussi ce qui se fait chez nous.
Et est-ce que par la force des choses, s’inspirer du trad québécois est un geste politique?
Bah…peut-être un peu, surtout par rapport au fait de chanter en français. On vit dans un petit milieu francophone et ça contribue à affirmer qu’on existe. Ça permet aussi de se présenter à d’autres cultures…
Il y a plusieurs bands trad québécois qui font partie du circuit de musique du monde et qui jouent beaucoup à l’international.
Oui, c’est une musique qui peut paraître exotique pour plusieurs. Des groupes comme Le Vent du Nord doivent quasiment jouer plus souvent à l’extérieur du Québec que chez eux!
Et de votrer côté, ça vous intéresserait d’aller jouer à l’extérieur?
On se concentre sur le Québec pour le moment, mais pourquoi pas aller montrer aux Irlandais ou aux Bretons qui écoutent de la musique celtique comment le style a évolué chez nous? C’est vraiment une facette du style dont on entend rarement parler.
Vous avez joué quelques fois avec GrimSkunk. Comment la foule vous a accueilli?
Très bien! Le public de GrimSkunk est très réceptif à la base à la musique francophone ou à un punk différent. Quand c’est folklorique et un peu rapide, c’est pas long que le monde se met à danser!
Vincent Peake [ex-Groovy Aardvark, maintenant dans GrimSkunk] a réalisé votre album. Comment s’est fait le rapprochement?
Je le connais depuis plusieurs années et il croyait au projet. Il nous a amené beaucoup et il aime ben le folklore québécois.
Oui, j’imagine. Groovy Aardvark a déjà fait une chanson avec Yves Lambert et le groupe jouait Dondaine en spectacle.
Exact! Il baignait déjà dans notre univers.
Vous avez enregistré l’album au mythique studio Wild à St-Zénon. C’était une belle expérience?
C’était magique! Y’a pas meilleure place pour connecter avec ses racines, dans les montagnes, à côté d’un lac. Tu arrives là pis tu te dis: «Voyons, y’ont l’électricité icitte!» [rire]. On y a passé 20 jours vraiment exceptionnels!
Sur Facebook, tu diffuses des capsules intitulées Agro punk où tu donnes notamment des conseils sur l’agriculture.
Oui, à la ferme, on a un kiosque où on vend nos produits et le monde me pose beaucoup de questions. Je leur répond par ces capsules-là, le monde aime ben ça.
Crois-tu que le monde cherche à se reconnecter à la terre?
Les choses ont beaucoup changé. Les gens connaissent moins la terre, mais ils sont vraiment intéressés à bien manger. Ils veulent savoir ce qu’ils mettent dans leur assiette et d’où ça vient. À l’époque, la famille de la ville venait aider la parentée sur la ferme pendant l’été. Tout le monde ou presque était en contact à un moment donné avec la ferme. C’est sûr que ça ne se fait pu de nos jours. À c’t’heure, les jeunes préfèrent travailler chez Tim Horton’s plutôt que de ramasser des légumes [rire].
Si je comprends bien, que ce soit comme agriculteur ou musicien, pour toi, l’idée, c’est de revenir à la source?
C’est ça! Le folklore, notre bouffe, nos fermes, nos racines…Nos ancêtres nous ont dit comment cultiver tel légume, ils nous ont aussi montré à jouer tel instrument. On continue là-dedans!
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L’album Punklore et Trashdition disponible dès maintenant sur étiquette Slam Disques.
Lancement officiel:
Manoir de Pont-Ronge (279, Dupont)
21 mars, 20h
// Mise à jour, 9 juillet 2015: Carotté sera de passage au Festival d’été de Québec le dimanche 19 juillet prochain. Ils joueront en triple plateau avec Cobrateens (qui ouvre la soirée à 19h45) et Map qui célèbre ses 20 ans par la même occasion.