Librairie La Liberté
Le rapport colonisé/colonisateur par Albert Memmi
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Le rapport colonisé/colonisateur par Albert Memmi

Depuis déjà longtemps, il est une valeur incontournable en politique comme dans la vie quotidienne, sous laquelle il semble de plus en plus mal venu de ne pas placer son discours. Les émancipations en chaînes auxquelles nous assistons depuis les années 60 ne doivent pas nous tromper; apparemment, la liberté est en danger. Il faut la défendre; il faut l’amener plus loin. L’oppression est palpable.

Bien.

Au sortir des vibrations vertueuses des valeureux cœurs semeurs de liberté, on découvre quelque chose de fascinant: la réflexion. Il existe bien des façons d’appréhender la liberté. Si elle a bien évidemment des vertus dans le strict ordre individuel, on oublie trop souvent qu’elle correspond à peu de choses sans le socle collectif qui précède chacun d’entre nous. On s’en aperçoit que trop bien à la lecture du très important livre d’Albert Memmi : Portrait du colonisé – Portrait du colonisateur.

memmi-portrait-sOuvrage phare dans les luttes anticoloniales, on y saisit toute la complexité unissant le colonisateur au colonisé, irrésistiblement intriqués dans la dialectique du maître et de l’esclave dégagée jadis par Hegel. La situation coloniale est en totalité ou n’est pas; aucun aménagement n’est possible puisque rien ne peut réellement entraver un rapport de domination, excepté la fin du rapport lui-même. Dépossédé de ses assises identitaires et mystifié par la dévaluation de son peuple que lui imprime la machine coloniale, comment le colonisé peut-il à nouveau coïncider avec lui-même, retrouver le sentiment de plénitude perdu au fil des générations?

Plutôt qu’une liberté conçue comme arrachement, c’est la liberté comme ré-enracinement qui guidera les efforts de l’opprimé; la liberté comme retour à soi dans le retour au Nous du peuple, de son histoire et de sa singularité.

En prenant connaissance du réseau de tensions décrit par Albert Memmi, le lecteur contemporain pourrait ne s’y sentir que peu impliqué. Le statut de colonisé, au sens plein, ne convient effectivement plus à beaucoup (quoique la réalité québécoise soit à ce sujet fort complexe). Pourtant, pour peu qu’on regarde autour de soi, on ne peut manquer de constater le déracinement constant auquel nous engagent les trompettes tonitruantes du « progrès ». Dans ce contexte et parce que le colonialisme est aussi – et peut-être surtout – un état d’esprit, pour ne pas nous dissoudre dans l’éphémère et conserver une prise sur l’histoire, Portrait du colonisé – Portrait du colonisateur est un livre nécessaire.

J’ai entrepris cet inventaire de la condition du Colonisé d’abord pour me comprendre moi-même et identifier ma place au milieu des autres hommes.

Albert Memmi

David Labrecque, libraire