Michael Connelly : Crimes et chatoiements
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Michael Connelly : Crimes et chatoiements

Quoi de mieux, pour célébrer le culte des apparences, qu’Hollywood et Las Vegas? C’est ce que l’on trouve au cour du nouveau roman de l’américain MICHAEL CONNELLY, Le Cadavre dans la Rolls. Après avoir obtenu toute la reconnaissance qu’il méritait, l’ancien journaliste du L.A. Times renoue avec son inspecteur fétiche, Hieronymus Bosch. Nous l’avons joint à Los Angeles pour qu’il nous parle de son dernier-né.

Le lecteur francophone avide de bons romans noirs devrait déjà connaître l’inspecteur Harry Bosch, flic de Los Angeles qui fait parfois fi des procédures légales pour parvenir à rétablir la justice. Son créateur, qui a jadis couvert la scène criminelle et policière, Michael Connelly, nous l’a fait découvrir dans Les Égouts de Los Angeles, La Glace noire et La Blonde en béton.
Ensuite, Connelly a mis Bosch sur la glace pour écrire Le Poète, où le héros enquê?teur est cette fois un journaliste dont le frère jumeau, policier, est assassiné. S’inspirant toujours de l’actualité, Connelly creuse encore un nouveau sillon. Le Cadavre dans la Rolls marque le retour d’Harry Bosch. «En tant qu’écrivain, nous confie le romancier, il est mon principal focus; quand j’écris un roman comme Le Poète, ce n’est que pour prendre congé de lui afin qu’il demeure frais, intéressant. Je ne voulais surtout pas me fatiguer de lui; je me suis dit que ce pouvait ê?tre une bonne stratégie. D’autre part, comme j’ai été journaliste, je voulais aussi écrire à partir de ce point de vue.»

Cité interdite
Né à Philadelphie, ayant grandi en Floride, Connelly habite Los Angeles depuis une douzaine d’années. La presse et le public français, que l’Amérique en général et Los Angeles en particulier fascinent indéniablement, l’ont parfois comparé à un monument de la littérature criminelle américaine, James Ellroy, qui s’intéressait surtout à la corruption policière et à la criminalité des années 50; l’ouvre de Connelly, bien qu’inscrite dans cet univers, est pourtant solidement ancrée dans le présent. «C’est un très grand compliment d’?être comparé à Ellroy, avoue en toute humilité Connelly, parce que j’ai adoré ses romans. Je le lisais quand j’ai commencé à publier. Mais dans l’époque qu’il dépeint, la corruption s’étalait sur plusieurs plans: politique, financier… Maintenant, on pourrait qualifier la corruption qui existe de "sociale", avec le racisme, l’exclusion…»

Chose certaine, le «personnage» Los Angeles est omniprésent chez les deux écrivains. «J’ai décidé de m’installer à Los Angeles parce que j’aimais certains auteurs, comme Chandler, qui écrivait sur L.A. Et c’est vrai qu’à une certaine époque, la plupart des romans policiers se déroulaient là ou à New York. Mais, depuis, la géographie du crime s’est étendue; la Floride est également devenue une terre de prédilection. A partir du moment où vous mettez en scène des personnages forts et des intrigues fouillées, le lieu de l’action est moins déterminant qu’il l’a déjà été. Pour ma part, j’aime vivre dans la ville sur laquelle j’écris. Et j’aime vivre ici. Je suis chanceux; je travaille à la maison, je ne suis pas confronté aux embouteillages!»

Grand écran
Mais Los Angeles, c’est aussi Hollywood. Connelly nous entraîne dans les coulisses de cette industrie, où la production «soft porno» est une buanderie pour blanchir l’argent sale de la mafia. D’où le lien que l’auteur établit avec Las Vegas: «Pour un écrivain qui situe ses intrigues à Los Angeles, il était inévitable que je traite du monde du cinéma. Mais j’ai choisi de parler d’une certaine faune de ce milieu, en marge, un peu vulgaire. Pour Las Vegas, j’avais envie de réagir à la nouvelle image qu’on essaie de nous vendre. C’est maintenant perçu comme une "destination familiale"! Ça a d?û ê?tre tout un boulot de relations publiques!»

Le roman de Connelly est donc farci de personnages qui se représentent sous de fausses identités. «La vraie, la secrète, et la fausse, l’officielle… Las Vegas est un peu une ville qui symbolise, dans son ensemble, toute cette facticité. Mais l’inclusion d’une partie de l’action à Las Vegas, c’est une façon de maintenir l’intér?êt autour d’un personnage. Ça entraîne Harry dans des univers qui ne lui sont pas aussi familiers que Los Angeles. Ça contribue à créer des tensions.»

Impossible d’occulter le sujet des adaptations de roman au cinéma avec une vedette montante de la scène littéraire américaine. Surtout qu’Hollywood essaie de se réinventer, plutôt lamentablement, en recyclant les vieilles séries télévisées. Surtout que l’industrie cinématographique est au cour de l’enqu?ête menée par Harry Bosch dans Le Cadavre dans la Rolls, lequel cadavre est celui d’un producteur de films qui entretenait des relations louches avec certains milieux, tout aussi douteux, dans la capitale du jeu qu’est Las Vegas. Connelly le concède ouvertement: le cinéma l’intéresse. «C’est évident, m?ême si les adaptations ne sont pas toujours faciles; mais il ne fait nul doute que le pari en vaut la peine. Quand on voit le travail fantastique qu’ils ont réussi avec L.A. Confidential, tiré du roman d’Ellroy, c’est extr?êmement tentant, (malgré la quantité de navets qu’on a aussi produits à partir de livres intéressants…). Ce doit ê?tre assez bizarre de voir son roman devenir un film, rê?ve à voix haute Connelly. C’est une expérience qui m’attire et m’excite. Quand vous vivez et écrivez à Los Angeles, le cinéma est tellement omniprésent que c’est impossible d’en faire abstraction…»

Le Cadavre dans la Rolls
de Michael Connelly
Le crime fleurit toujours à Los Angeles; et ce jardin fertile peut compter sur les engrais riches que sont les services policiers, le milieu du cinéma, la mafia… Quand on connecte tout ce beau monde sur Las Vegas, on s’assure d’une floraison particulièrement flamboyante! Mais, c’est bien connu, il y a des fleurs plus communes, qui poussent comme de la mauvaise herbe et d’autres, plus rares, qui, pour éclore, ont besoin d’une conjoncture favorable. Et Michael Connelly est un jardinier hors pair: il pourrait faire pousser des nénuphars dans le désert!
Tr?êve de métaphore horticole. Le Cadavre dans la Rolls (adaptation maladroite qui réfère au «cadavre dans le placard», alors que le titre original est Trunk music) confirme un talent qu’on avait deviné il y a cinq ans de cela. Le rustre sympathique inspecteur Harry Bosch mène l’enqu?ête après qu’un flic frustré eut signalé la découverte d’un cadavre dans le coffre d’une Rolls. La victime est producteur de films. L’impôt est à ses trousses. Il revient de Las Vegas où il fréquente les casinos, la mafia, et où il trompe sa femme avec des strip-teaseuses à qui il promet de grandes carrières au cinéma. Trompe-l’oil, faux-semblants, façades, mensonges, agents doubles, traîtres. Naïf, on se demande si on vit bien dans ce monde…
Est-ce le romancier qui est convaincant ou bien la société qui est pourrie? Vous gagnez si vous avez choisi: «toutes ces réponses». Le divertissement au service de la dénonciation. Le seul hic, c’est qu’au bout du compte justice est faite. C’est là où c’est le moins crédible. Mais c’est bien connu, les jardiniers cultivent aussi des r?êves… Éd. Seuil Policiers, 1998, 373 p.