Livres

Lectures d’été : Étoiles polars

Avec l’été qui se pointe le nez, les tueurs, flics et inspecteurs du genre littéraire le plus populaire n’attendent que vous pour ouvrir le feu.

Rien de tel, par une journée caniculaire, qu’un coin tranquille, une crème anti-UV efficace et un polar bien ficelé. Utopie estivale ô combien délicieuse, mais fragile. Et je ne parle pas de la météo.

Fragile parce qu’il vous est déjà arrivé, comme à moi, de vous taper des après-midi entiers de lecture assidue et pleine de bonne foi pour vous entendre hurler, à la page 474 (sur 500), alors que vous commencez à peine à démêler les quarante-trois personnages principaux et les douze intrigues parallèles: «Maudit, ça tourne en rond! J’embarque pas…» Et le bouquin de partir en haute voltige, pour bientôt retomber inerte, promis aux oubliettes.

Il faut dire que sur le lot de parutions, tout ne peut pas être transcendant d’inventivité. En ce début juin, les nouveaux polars nous arrivent par vagues et on ne compte plus les titres offerts en librairie. A se demander parfois si toutes les intrigues imaginables n’ont pas été exploitées, retournées dans un sens et dans l’autre. Y a-t-il vraiment de nouveaux crimes à commettre, de nouvelles façons de tuer son homme et de camoufler l’affaire?

Mais ne perdez pas espoir. J’ai mené ma petite enquête et vous ai déniché quelques polars qui, s’ils ne réinventent pas toujours le genre, garantissent pour le moins quelques heures de suspense, de sueurs et de sang frais. Pour le bonheur de chacun, j’étends mes suggestions au thriller, au roman d’espionnage et au roman noir.

Rappelons d’abord la récente traduction de Déjà Dead (Robert Laffont), un thriller policier dont l’action se déroule entièrement à Montréal. Tempe Brennan, médecin légiste chargée d’enquêter sur les circonstances d’un crime à partir de quelques os brisés retrouvés dans un parc, s’engage bien malgré elle sur les traces d’un tueur diabolique. Elle regrettera bientôt son entêtement dans le dossier… L’auteure, Kathy Reichs, elle-même anthropologue judiciaire, connaît son sujet jusqu’à la moelle, si vous me passez l’expression. Le roman est donc réaliste au possible. Notez que malgré ses fortes couleurs locales – vous y retrouverez les gars d’Hydro-Québec et la parade de la Saint-Jean-Baptiste – ce livre a connu un mégasuccès en Angleterre et aux États-Unis.

Voici un thriller de facture un peu plus classique, mais très prenant. La Proie de l’esprit (Belfond), de John Sandford, confronte le flic Lucas Davenport à John Mail, un dangereux psychopathe. Ce dernier enlève Andi Manette et ses deux enfants, pour les brutaliser et les terroriser. Mais Andi est la fille d’un puissant homme politique; des intérêts sont en jeu – plus qu’il n’y paraît au départ – et l’affaire se corse rapidement. Le genre d’histoire qu’il ne serait pas étonnant de voir un jour portée à l’écran.

Pour les fervents d’enquêtes à l’échelle planétaire, ce bon vieux Larry Collins présente le fruit de trois ans d’investigations délicates. Son roman Demain est à nous (Robert Laffont), parfois proche du documentaire, étale au grand jour le scandale du financement d’activités terroristes iraniennes par le commerce de l’héroïne. Collins montre comment la drogue chemine depuis les plantations de pavot d’Afghanistan jusqu’en Turquie, où elle est raffinée, pour ensuite traverser l’Europe en douce et se retrouver sur le très lucratif marché hollandais. A cette histoire de trafic se greffe une menace de conflit nucléaire, les Iraniens détenant désormais les ogives nécessaires à la destruction de Tel-Aviv. Un document choc.

Aussi en librairie, l’increvable Robert Ludlum et son énième roman d’aventure et d’espionnage, Le Secret Halidon (Robert Laffont). Il s’agit en fait d’une réédition d’un roman publié il y a plusieurs années, sous le pseudonyme de Jonathan Ryder, mais qui n’avait encore jamais été traduit en français. Le maître du genre nous fait pénétrer la Dunstone, une multinationale aux ramifications tentaculaires qui souhaite construire une cité en plein cour de la jungle. Où exactement? Pour quels motifs? Alex Mcauliff, engagé par la Dunstone, mesure bientôt les dangers de son implication dans le projet. Un bon Ludlum, complexe et bien mené.

Les nostalgiques de Sherlock Holmes seront ravis de ma prochaine suggestion. Dans Sherlock Holmes et l’apicultrice (Ramsay), un roman de Laurie King, le légendaire détective est troublé dans sa non moins légendaire misogynie. C’est qu’elle est charmante, la jeune Mary Russell, et fort vive, pour une femme. D’abord sur ses gardes, le vieux garçon prend goût aux échanges pleins d’humour et d’esprit qu’il entretient avec elle. Et quand un poseur de bombes sème l’émoi dans les environs, c’est en tandem qu’ils mèneront l’enquête. La suite? Élémentaire, voyons.

Parlons maintenant d’un polar québécois rédigé sur le ton de l’humour et plein d’un irrésistible sarcasme. Une douzaine de beignes pour le sergent (Québec Amérique), premier roman d’André Truand – nom tout à propos, vous en conviendrez -, montre la banlieue de Laval-des-Rapides avant et après le passage d’un tueur en série. Avant, c’est le calme plat d’une banlieue comme les autres, désespérément tranquille. Après, c’est l’émoi d’une communauté menacée. Mais va-t-on réellement se plaindre, maintenant qu’il se passe enfin quelque chose? Vous allez en rire un coup et serez touchés par ce curieux mélange de moquerie et de gravité qui fait le style de Truand.

Costaz perd le mort (Vents d’Ouest), premier roman du Français Fred Charleux, s’inscrit dans la même veine de polars humoristiques. Vous goûterez particulièrement les échanges entre les gendarmes, des spécimens bien bourrus, où l’on reconnaît vite les pittoresques képis d’outre-mer. Un polar typiquement franchouillard et plein de fantaisie.

Dans le registre plus sombre du roman noir, deux belles trouvailles. D’abord, la petite maison Le Serpent à Plumes publie Beneath the Blonde, de Stella Duffy. Dans l’entourage d’une chanteuse rock, une série de meurtres se prépare. Saz, la garde du corps, a-t-elle quelque chose à y voir? Très londonien, sur fond d’ambiance post-punk, ce livre est écrit dans une langue savoureusement acidulée.

Ensuite et pour finir, je vous conseille La Ballade de Kouski, de Thierry Crifo, dans la collection Série Noire de Gallimard. Ce petit roman met en scène un autre genre d’enquête: un homme, Kouski, recherche son pote disparu dans des circonstances nébuleuses. Avec son regard lessivé, ses désillusions profondes, Kouski est le ronchonneur par excellence, qui toutefois ferait tout pour un copain. Noir à souhait.

Voilà qui complète la liste. Je vous souhaite un été aussi paisible et ensoleillé dans la vie que tordu et trépidant dans les livres.