Nicolas Kieffer : Invisible
Livres

Nicolas Kieffer : Invisible

Retour insolite mais bienvenu pour le jeune auteur français Nicolas Kieffer, qui avait donné un formidable premier roman, une brique, Peau de lapin (Éd. du Seuil, 1994), flirtant avec le fantastique: on y voyait tout un hôpital psychiatrique, médecins comme patients, sombrer dans une psychose hallucinatoire. Avec Invisible, un récit court, condensé, l’écrivain explore à nouveau la fragile frontière entre réel et imaginaire, entre la présence concrète des êtres et les visions de l’esprit. Deux personnages, un climat, peu d’action, beaucoup d’intensité.

Étrange histoire d’une amitié très pure entre un homme et une petite fille. L’homme – quel âge a-t-il? dans la quarantaine… – est marié; la petite fille, Lucie, vit avec ses parents; mais jamais, sauf à la toute fin, quiconque n’interviendra, ne sera même présent dans l’aventure. C’est l’été, il fait très chaud, et pendant ses vacances, Lucie retrouve chaque jour cet homme taciturne, Horace, toujours assis au même endroit, sur un talus en bordure d’un champ qui est plus un terrain vague qu’un véritable champ. Elle lui parle, l’incite à bouger: «Qu’est-ce qu’on fait?» est sa question-leitmotiv; il la suit sans enthousiasme, parle peu.

Puis un jour, il lui apprend l’existence d’une autre petite fille dans sa vie, qui ressemble à Lucie, qui surgit parfois d’entre les herbes du champ et que lui seul peut voir… Il n’en faut pas plus pour piquer l’imagination de l’enfant, bouleverser son appréhension du réel. Au fil des jours, elle cherche à en savoir plus sur «l’autre», elle croit l’entendre, l’apercevoir, ou simplement sentir sa présence. Surtout, elle est de plus en plus attentive, sans s’en rendre compte, à tout ce qui est invisible, cette vie derrière la vie qui nous échappe, puis nous rattrape.

«L’air semblait empli de longues baguettes de verre qui s’entrechoquaient sans produire le moindre son. Le silence avait pris la forme des arbres au feuillage épais. Il s’était coulé dans la mousse et l’ombre miroitante des fourrés. Il enveloppait l’enfant pour la rendre à son tour fragile et cassante. "Y a quelqu’un?" demanda-t-elle encore.»

L’extraordinaire talent de Nicolas Kieffer tient ici dans des descriptions audacieuses du paysage, toujours le même, qui créent déjà le mystère dans lequel grandit l’amitié improbable entre ces deux beaux personnages apparemment hors du monde. Et il nous tient en haleine jusqu’à la fin de cette énigme sans résolution. Éd. du Seuil, 1998, 128 p.