Marie-Pascale Huglo : Revers
Livres

Marie-Pascale Huglo : Revers

Pour diversifiées qu’elles soient, les courtes nouvelles assemblées dans le premier recueil de Marie-Pascale Huglo explorent surtout le terrain de la mémoire et de l’oubli, farfouillant dans les replis du temps. Plus souvent qu’autrement, elles nous ouvrent les chemins de l’étrange, ceux d’une science-fiction sise dans un ailleurs ou une époque pas nommés, ou d’un simple dérapage du quotidien le plus banal. Ce concentré de mondes décalés se révèle complexe, cohérent, et assez fascinant.

Il suffit parfois de peu pour faire surgir l’étrange; tout est dans le regard que porte l’auteure sur l’univers dépeint. Un seul changement vient parfois perturber l’ordonnance routinière de l’existence d’individus solitaires, repliés sur eux-mêmes jusqu’à une sorte d’effacement social. Dans Le Clou, une nouvelle bien maîtrisée, un homme tout ce qu’il y a de plus anonyme devient obsédé par un clou planté tout seul devant son lit, qui devient pour lui un symbole de l’incertain, d’un «événement en suspens».

Dotées de chutes particulièrement réussies, La Taupe et La Main verte font pareillement l’étude d’une protagoniste isolée du monde, qu’une rencontre, a priori banale, transporte hors de son ordinaire. Marie-Pascale Huglo s’intéresse aux points de rupture qui font qu’un parcours dérive, aux mutations identitaires.

Si Antioche – une nouvelle primée par la revue Humanitas – est avant tout une bonne histoire de science-fiction, tout entière contenue dans son suspense, The Lost Mistress, semée de références littéraires, déconstruit savamment son insolite histoire de triangle amoureux sanglant, qui fait écho à une anecdote lue dans un texte de l’an 1795 (la mémoire, toujours). La nouvelle est écrite de façon synthétique, avec des paragraphes numérotés et des notes de fin de page. Comme un travail d’étudiant…

Le revers de cette intelligence, de cette écriture où se font jour, parfois, de vagues relents borgésiens, c’est peut-être, pour le lecteur avide d’émotions, une tendance à l’abstraction analytique dans certaines nouvelles, où on sent la griffe de l’universitaire (déjà auteure d’un récit pour jeunes et d’un essai, Métamorphoses de l’insignifiant). Quelques univers sont si avares de repères qu’ils en deviennent nébuleux (Traitement de choc, dont l’enjeu m’a échappé).

Les personnages sont ici disséqués, observés à distance (parfois même quand les nouvelles se conjuguent au «je»), tels d’étranges insectes. De façon emblématique, Revers boucle son corpus avec le discours analytique d’une machine, une mémoire artificielle… L’écriture, ici, nous entraîne vraiment dans des mondes hors du commun. Éd. L’instant même, 1998, 143 p.