Tony Tremblay : Contes urbains
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Tony Tremblay : Contes urbains

A 30 ans, le poète TONY TREMBLAY, cofondateur de la revue Exit, a fait son chemin dans le milieu littéraire montréalais. Son second recueil, Rue Pétrole-Océan, révèle une poésie aux élans romanesques et urbains. Sous les pavés, l’onirisme.

Parti de rien, de son Saguenay natal, autodidacte entêté, le poète Tony Tremblay est fier de la place qu’il a prise dans le paysage littéraire montréalais. Cofondateur de la revue Exit, dont il assure la direction littéraire, animateur-réalisateur à la radio de Radio-Canada, il publie son second recueil, Rue Pétrole-Océan. Incursion dans un univers onirique, aux envolées surréalistes; vision hallucinée, singulière, du monde urbain.

Né à Jonquière en 1968, Tony Tremblay se souvient de son éveil culturel précoce: «A 11 ans, j’écoutais les émissions de jazz de Gilles Archambault, que j’aimais beaucoup. J’ai écrit mes premiers poèmes à 12, 13 ans. On lisait beaucoup dans ma famille, pas nécessairement de la poésie. En sixième année, j’ai écrit une histoire que la prof m’a envoyé lire en avant, c’était comme la première fois que j’obtenais un peu de respect.» Le goût de l’écriture lui est resté. A 17 ans, premier recueil soumis aux Écrits des Forges. «Ça s’appelait Des larmes d’idées étranges dans les mains», dit-il, le sourire du recul aux lèvres. Ce sera son premier refus.

«J’avais reçu une lettre de commentaires assez constructifs, poursuit-il, qui m’a fait comprendre une chose essentielle: il fallait que je travaille mes textes.» Après cinq ans d’animation à CHOC, la radio communautaire du Saguenay, il s’installe à Montréal et fait quelques jobines avant d’entrer à Radio-Canada… comme commis. Puis, il se retrouve au chômage et décide de le prendre comme une bourse d’écriture. Il rédige Contagion, son premier recueil, dont trois versions seront refusées partout, avant que la quatrième ne paraisse à l’automne 1996, aux Écrits des Forges.

Entre-temps, Tony Tremblay a exercé sa plume au mensuel Lectures et fondé, en 1995, la revue Exit, avec André Lemelin. «Je voulais créer ma propre place et c’est un peu ce qui est arrivé. Je sentais que je pouvais faire ça, mettre sur pied une revue de poésie. L’idée de départ était de voir de jeunes auteurs publiés dans les mêmes pages que des auteurs plus connus. J’ai contacté Patrice Desbiens, Danielle Roger, qui m’ont dit oui tout de suite; j’ai été étonné: ils ne me connaissaient pas et n’avaient aucune raison de me faire confiance.» Au fil des ans et des numéros ±- l’opus 12 est actuellement en kiosque ±-, Exit a survécu et se transforme peu à peu, de la poésie-combat-de-rue pure et dure à l’onirisme urbain…

Quittant, de son aveu même, l’apitoiement sombre et désespéré de sa première manière, le poète a vu surgir quelque chose de nouveau, des éléments de fiction, dans Rue Pétrole-Océan. Comme il réalise et anime l’émission Le Trafiqueur de nuit à la radio de Radio-Canada, il a dû pondre des textes en cascade. Ainsi sont nées des parties du recueil, d’autres ayant été créées au Festival de la poésie de Trois-Rivières. «Je ne savais pas que j’allais en faire un livre, dit-il. Puis un jour, ça s’est imbriqué, j’avais construit tout le livre en morceaux séparés, presque sans m’en rendre compte.»

«Sur un banc d’hésitation / rue Pétrole-Océan / quatorze heures / lourde et lente lumière / sales et hirsutes / des spasmes de miroir / s’écrient à l’intention des autobus / il n’y a plus de raisons de s’inquiéter / aujourd’hui / les chances de mourir jeune / sont meilleures qu’hier / et rencontre instantanément la mort juvénile en jupe de cuir / Rubis sourire d’outre-espace / m’accroche par le bras / s’envole un instant / suivant l’axe lourd / du désir / T’habites loin d’ici? C’est où chez toi?»

Je est trois autres
Trois personnages-narrateurs relatent une virée dans un environnement inquiétant: le héros Math Retors, Dieu Diesel et Rubis Sourire d’Outre-Espace, chacun son tour, prend le relais du récit. «Je suis très fier de ce livre, lance Tony Tremblay, qui ne va peut-être pas plaire aux poètes, pour qui un "je" ne peut être quelqu’un d’autre que le poète. Mais Dieu Diesel, c’est moi; Math Retors, c’est moi; Rubis, c’est moi. C’est une poésie un peu schizophrène: tous les personnages que Math rencontre ou bien lui parlent en anglais, ou bien il ne les reconnaît pas. Il vit dans sa tête, coupé du monde, pas concerné par le réel: il navigue là-dedans mais n’aime pas ça, et crève dans l’indifférence générale en se noyant dans le bitume de la rue. C’est un paumé, personnage grotesque, une caricature de ce que nous sommes tous à certains moments de notre vie.»

Il y a aussi une histoire d’amour: «Rubis et Math, un couple extrême, note le poète. Rubis est une femme mais c’est aussi l’écriture, cette portion inconnue de nous-mêmes, le bien et le mal qui se confrontent en nous.» On sent l’appel du roman: «Je m’en vais de plus en plus vers l’étrangeté, l’onirisme, la création de mondes virtuels; la machine, tout ça, ça m’intéresse: je suis très techno, je pitonne beaucoup sur Internet, etc. L’idée de création prend tout son sens quand tu inventes entièrement un monde logique en lui-même mais sans prise logique sur le monde dans lequel on vit réellement. Il y a de ça dans le recueil, même si la rue Pétrole-Océan, c’est un peu la rue Mont-Royal, où j’habite, un arrêt d’autobus sous la fenêtre de mon bureau. Je veux voir ce qu’il y a au-delà de l’asphalte.»

Rue Pétrole-Océan
Éd. Les Intouchables, 1998, 72 p.