La Malédiction de Râ : Le trépas du Nil
Livres

La Malédiction de Râ : Le trépas du Nil

Le premier roman de celui qui allait obtenir le Nobel de littérature, en 1988, nous parvient enfin en version  française.

Gizeh, XXVe siècle avant J.-C. On va bientôt poser la dernière pierre de la grande pyramide de Khéops, la plus extraordinaire construction qu’aient portée les rives du Nil. Le souverain n’en est pas peu fier, d’ailleurs. L’érection de ce tombeau superbe et démesuré symbolise la gloire d’un pharaon vénéré de tous, qui règne sur l’Égypte depuis plus d’un quart de siècle. Telle est la prémisse historique du premier roman de Naguib Mahfouz, paru en 1939 et encore jamais traduit en français.

Au faîte de sa splendeur, Khéops est pourtant troublé. La raison en est simple: le devin Djédi vient de lui annoncer qu’à l’heure de son trépas, aucun de ses descendants ne montera sur le trône. D’abord incrédule, puis furieux, Khéops entreprend de défier le destin. Il ira lui-même supprimer la vie de celui que l’avenir doit porter à sa place, dont Djédi lui apprend qu’il s’agit du fils du grand prêtre de Râ, né le jour même. Quelques heures plus tard, son geste accompli, le pharaon retrouve la quiétude et croit avoir renoué avec le destin. Mais on ne détourne pas aussi facilement les desseins des dieux. Un concours de circonstances veut qu’il y ait eu erreur sur la personne; l’héritier désigné par le ciel est toujours de ce monde, sans que personne ne le sache, pas même le principal intéressé.

La vie de Djédef, l’enfant en question, sera une succession de réussites et de promotions. Enlevé par une servante de sa mère – qui ainsi lui sauva la vie – et adopté par l’inspecteur des pyramides de Khéops, il va mener de brillantes études militaires et occuper, très jeune, de hautes fonctions dans l’armée. Son ascension est d’ailleurs un petit documentaire en soi: on reconnaît les fondements des grandes traditions de l’armée qui ont perduré jusqu’à aujourd’hui. La discipline est stricte, les supérieurs butés.

Malgré cet environnement rude, l’âme de Djédef demeure bonne et généreuse. Il est reconnu pour sa bravoure, son jugement et son dévouement au pharaon. Ce dernier voit d’ailleurs en lui un digne enfant de l’Égypte. Peut-être même le préfère-t-il à Rékhaef, l’intransigeant fils de Khéops et l’héritier légitime du trône…

Cette histoire est à cheval entre la fiction et la réalité. De fait, l’ouvre est considérée comme l’une des premières ouvres de fiction de la littérature arabe, mais les descriptions de la vallée du Nil, du quotidien égyptien et de la cour du pharaon sont basées sur des recherches historiques fouillées. Mahfouz dépeint une Égypte ancienne où l’on reconnaît à peine celle des livres d’histoire. Une Égypte qui nous apparaît soudain très proche, bien vivante, parce que vue au jour le jour. Une Égypte où naissent des principes d’organisation sociale qui sont encore les nôtres, quatre mille cinq cents ans plus tard.

Un beau moment de lecture, à l’ombre de l’une des Sept Merveilles du monde.

La Malédiction de Râ,
de Naguib Mahfouz
Éditions de L’Archipel
1998, 240 pages

L’Apprentissage de Duddy Kravitz
L’Apprentissage de Duddy Kravitz, l’ouvre la plus connue et la plus achevée de Mordecai Richler, connaît depuis quelques décennies le sort réservé aux classiques, celui des rééditions successives. Cette fois, c’est Bibliothèque québécoise – depuis peu, la collection ouvre ses portes aux écrivains venus d’autres littératures – qui a relancé les presses.

D’abord publié en 1959, le roman de Richler a été traduit en plusieurs langues et fait connaître son auteur à travers le monde. L’histoire prend naissance dans la communauté juive montréalaise des années 40. Richler y montre, avec un humour et un sens de la description qui n’appartiennent qu’à lui, l’ascension du jeune Kravitz, beau parleur et grand ambitieux, pour qui un homme ne possédant pas son lopin de terre n’est rien. Ses ambitions le mèneront loin, mais parfois aux dépens de ses amours et amitiés.

Les très peu subtiles déclarations de Richler au sujet de la société québécoise, qui hélas l’ont fait connaître autant que ses livres, n’occultent en rien le talent littéraire du bonhomme. L’Apprentissage de Duddy Kravitz demeure l’un des quelques incontournables de la littérature canadienne. (Bibliothèque québécoise, 528 pages, 1998)