Sainte-Bob : Et Djian dans la gueule
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Sainte-Bob : Et Djian dans la gueule

Y a des gens à qui le succès ne réussit pas. Philippe Djian en est un excellent exemple. Depuis son entrée chez Gallimard, il n’a fait, à proprement dire, rien qui vaille notre admiration.

A la fin des années 80, la pub annonçait: «Une page de Djian ne ressemble à rien d’autre.» Aujourd’hui, il faudrait ajouter: … à rien d’autre sauf à une autre page de Djian et une autre et une autre…

Je n’ai, tristement, plus de sympathie pour Djian, et chacun sait que j’en ai eu beaucoup, simplement parce qu’il ne se donne plus la peine de nous accrocher, de raconter des histoires qui voient plus loin que sa queue.
De fait, ce Sainte-Bob conclut une trilogie dont ses lecteurs (ses apôtres, Christ!, desquels je faisais partie, une étincelle dans la prunelle) se seraient bien passés.
Trois romans, Assassins (1994), Criminels (1996) et Sainte-Bob, qui ne mènent nulle part, qui ne laissent aucun souvenir palpable et qui, finalement, imposent la question existentielle que se pose tout écrivain: quel livre devrait être mon dernier?
De Sainte-Bob, je ne garde rien. Ni sur l’estomac ni sur le cour. Comme d’Assassins et de Criminels, soit écrit en passant.

Alors, résumons. Luc Paradis est écrivain et agent de voyages. L’est-il vraiment, agent de voyages? (Ouais, me semble.) Il a écrit Assassins et Criminels. (O.K., donc le personnage est l’auteur des romans précédents.) Et ce pauvre type… (Tiens, surprise, c’est un pauvre type.) … accueille sa belle-mère de soixante-trois ans chez lui. A qui, évidemment, il finira par lécher le con rasé. Oui mes amis, il se baise la mémé! Les femmes matures, c’est vrai que c’est le pied. Tous ceux qui sont d’accord, levez votre main. Merci, vous pouvez la baisser maintenant. Mais il y a une sacrée différence entre une femme mature et sa belle-mère.
Souvenons-nous, dans Sotos, un ado polluait son lit, la nuit, en pensant à la mère de son copain. Ça va. C’est raisonnable. Tout mâle post-ado s’y reconnaît.

Mais sa belle-mère?! Pour l’amour du Christ, il a perdu la raison! Elle a beau être bien préservée, il y a des limites à nous imposer ces visions cauchemardesques.
Est-ce le temps froid qui explique les frissons qui parcourent mon corps?
Évidemment, au début, gendre et belle-mère ne se portent pas dans leur cour. A la fin, ils ne peuvent plus être en présence l’un de l’autre sans que l’un fourre ses doigts dans la culotte de l’autre.

Mais il y a pire. Les petites péripéties sexuelles en périphérie du narrateur ne valent plus le coup. On les a déjà lues. La galerie n’est plus épatée.
(Suis-je trop vieux? Si c’est le cas, ignorez ce papier.)

La moitié de ce putain de livre se résume à la réaction du village face à l’arrivée de la mémé chez le narrateur. C’est lent. C’est long. Et on se dit: j’ai perdu environ 850 pages (trilogie entière) de ma vie et je me demande pourquoi.

Non, j’abandonne. Désolé. Je tourne la page. Plutôt, je l’arrache. Fini. Djian m’a fait passer de fabuleux moments, mais je crois qu’il est désormais incapable de répéter l’exploit. On ne peut pas écrire le même maudit livre pendant quinze ans en croyant que seul le style peut tenir ses lecteurs à bout de bras au-dessus du néant.

Cela dit avec beaucoup d’affection pour l’écrivain et de gratitude pour les souvenirs. Éd. Gallimard, 1998, 282 p.