Livres

L’Arbre du danger : David Macfarlane

Drôle de pays, tout de même, où les littératures et les provinces cohabitent sans se connaître; où ce qui fleurit dans la cour voisine a presque saveur d’exotisme. Et où il faut attendre sept années pour que paraisse la traduction française d’une ouvre saluée par la critique anglophone. Enfin…

Dans L’Arbre du danger, un premier «roman» qui tient à la fois de la chronique familiale et du récit d’histoire, David Macfarlane, journaliste né à Hamilton d’une mère terre-neuvienne, retrace avec affection et respect la saga de ses ancêtres maternels, les Goodyear – une veine familiale qui semble séduire nombre d’auteurs canadiens.

A travers l’histoire des Goodyear émerge celle de Terre-Neuve, la mal-aimée et la dernière venue des provinces canadiennes, île rocailleuse battue par les vents, terre de misère et d’espoir. Le destin des Goodyear, famille alors bien connue du centre de l’île, où elle a bâti des routes, en vient en effet presque à cristalliser celui de l’ancienne colonie britannique. Comme les frères Goodyear, Terre-Neuve passa toujours à côté de ses rêves de prospérité. Comme eux, elle a gardé, de sa période de quasi-indépendance précédant son entrée dans la Confédération canadienne, une fierté d’être terre-neuvien, formant une société à «caractère distinct» (!), qui lui valut les moqueries de ses nouveaux concitoyens. Mais les Newfies, remarque l’auteur, ne «voient rien de mal au fait de posséder une identité clairement définie», eux…

David Macfarlane nous fait découvrir, dans ce livre documenté comme un manuel d’histoire mais ouvragé comme un roman, une histoire riche et difficile (et méconnue ici), des personnages forts, qui valaient en effet un livre; sans oublier d’y entrelacer de jolies légendes de pirates, des anecdotes savoureuses, de tragiques récits de tueries guerrières ou de chasses aux phoques sur la banquise… Tout ça raconté avec humour ou avec une émotion très sobre, et un sens aigu du récit, alourdi seulement par quelques passages un peu trop longuement descriptifs.

Commandant une lecture attentive, L’Arbre du danger suit une brillante structure en boucles, qui passe d’un événement à un autre suivant le parcours accidenté de la mémoire, ou selon la façon particulière qu’avaient les Goodyear de raconter une anecdote: une longue dérive d’une histoire à l’autre, qui revenait toujours, malgré tout, à son point de départ. Cette chronologie sinueuse permet par exemple de dresser un parallèle entre le brasier qui dévore la forêt terre-neuvienne et les charniers de la Première Guerre mondiale à laquelle les Goodyear ont sacrifié trois fils.

Avec ce récit sur lequel pèse un sentiment de perte, où il ressuscite des ombres et recense les traces d’un monde qui disparaît lentement, Macfarlane fait sentir à quel point la mémoire est fragile. Mais aussi comme le passé survit à travers le présent. Traduit par Jean Chapdelaine Gagnon, Éd. Les Herbes rouges, 1998, 303 p.