La Mort : La mystérieuse affaire du style
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La Mort : La mystérieuse affaire du style

Pour se détendre sans relâcher ses neurones, quoi de mieux qu’un bon polar centré sur un détective lettré? Avec une ironie jamais démentie, MICHEL RIO a troussé une fable étonnante, qui réinvente le roman policier sans le trahir. Très agréable, La  Mort…

Auteur de contes, d’essais, de pièces de théâtre et de douze romans qui lui ont valu de nombreux prix et des traductions en vingt langues, dont Archipel (1987), Tlacuilo (1992, prix Médicis), Manhattan Terminus (1995) et La Statue de la liberté (1997), tous parus aux Éditions du Seuil, Michel Rio revient avec un singulier polar, La Mort. Sous-titré Une enquête de Francis Malone, le roman nous attache aux pas d’un inspecteur pas comme les autres, outrageusement cultivé, droit, ingénieux et jouisseur. Sur son chemin, les cadavres s’accumulent, mais n’est-ce pas la mort en personne qui le poursuit? Et que veut-elle lui apprendre, au juste?

Tout comme son créateur, Francis Malone est d’origine bretonne, mais aussi irlandaise, ce qui lui donne une forte constitution physique et un caractère trempé, mélange «d’intelligence cultivée et de déraison naturelle, de générosité instinctive et de défiance apprise, de volonté calme et d’ironie désabusée, dureté cependant corrigée par la mélancolie du regard bleu pâle reflétant la lumière tempérée des eaux et des ciels du Nord», écrit Michel Rio. Au milieu de la quarantaine, Malone, comme tout le monde l’appelle, recevra un compliment d’une célèbre auteure de romans érotiques, experte en la matière: «Vous avez le plus beau corps d’homme que j’aie jamais vu, monsieur Malone.» Rien de trop beau pour notre héros!

On s’en doute, avec de tels atouts, ce flic hyper-intelligent triomphera de tout. Même son patron, à la police, a l’impression de s’adresser à un supérieur quand il lui donne des ordres… Or, voici que l’histoire sur laquelle il lui demande d’enquêter concerne directement Malone. Un de ses amis d’enfance, ex-ministre de l’Intérieur, vient de trouver la mort: sa voiture a pris feu au fond d’un ravin; mais, à l’autopsie, on lui a découvert une balle dans la tête. Or, Malone venait de passer la soirée avec lui… Le ministre faisait partie d’un groupe de notables impliqués dans une affaire de corruption et de blanchiment d’argent de la drogue; Malone va devoir rencontrer chacun d’entre eux pour trouver des indices.

Mortelle randonnée
Les personnages en question ont des noms pour le moins romanesques: Cythère du Bataillon (c’est elle, l’écrivaine porno), Norbert Moquette, Mickey Gerade, Julius Bossurdaloue, auxquels s’ajoutent Karen Kierkegaard, Cybèle et Mignard de Maugiron. Il y a aussi un avocat, maître Podevin. Voici que, étrangement, chacun, ou presque, de ceux que Malone vient interroger, est assassiné dans les minutes suivant sa visite. Quelqu’un, manifestement, veut faire passer le policier pour le meurtrier. Placé à un moment en situation de légitime défense, son assistant fait feu et Malone dit: «C’est le tueur qui doit se régaler de me voir faire un travail qu’il s’acharne à démontrer que je fais», avant de se demander: «Et si je découvre que c’est moi qui ai fait le coup, comment je procède?»

Il y a dans l’entreprise romanesque de Michel Rio un humour constant, ironique et dérisoire, qui rend les choses terriblement relatives et le drame aléatoire. Il ne s’encombre guère du désir de vraisemblance, mais construit peu à peu une fable étonnante où se confondent vérité et mensonge. Ainsi, l’inspecteur Malone devise doctement avec les suspects, qui ont en général un niveau d’instruction élevé. L’écrivain manie alors la plume et la parole avec une habileté qui atteint la haute voltige. Fils d’un grand poète irlandais et d’une historienne, diplômé universitaire, Malone vit dans un appartement meublé de deux immenses bibliothèques.

Le roman culmine en un chapitre sidérant où le héros, grimpé sur l’estrade d’un amphithéâtre de la Sorbonne, vient mettre son grain de sel dans les débats d’un colloque international sur le thème «Sciences, sciences humaines et littérature». Perdu dans les concepts fumeux développés par le flic et ses interlocuteurs – il y a là une parodie tragiquement réaliste de certains discours intello-philosophico-pseudo-scientifiques -, le lecteur s’y accroche tout de même car il sent venir le dénouement de l’intrigue. Qui sera assez inusité, comme il se doit.

Michel Rio prouve qu’on peut réinventer le roman policier en lui étant fidèle. Sa verve et l’intelligence imaginative qu’il déploie nous tiennent en haleine du début à la fin. La Mort est une excellente lecture de vacances.

La Mort
Éd. du Seuil, 1998, 182 p.