La Maladie de Sachs : L'amour médecin
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La Maladie de Sachs : L’amour médecin

Ex-docteur, le Français MARTIN WINCKLER écrit comme il pense qu’on devrait pratiquer la médecine: avec une sensibilité attentive. Son beau roman-vérité, La Maladie de Sachs, donne la parole à ceux qui souffrent. Contes de la misère ordinaire.

Il faut bien le dire: les médecins n’ont plus la cote. Pris dans l’engrenage d’un système qui fait primer la bureaucratie ou la technique sur l’humanisme, débordés, ils n’apparaissent plus comme les sauveurs d’autrefois. Finie l’époque du bon docteur à la Marcus Welby, qui soignait toute la famille avec dévouement, ne ménageait pas les visites à domicile, et écoutait les problèmes de tout le monde, faisant office autant de psy ou d’ami que de simple rafistoleur de corps brisés.

Il doit pourtant toujours en exister, de ces médecins de province attachés davantage à leurs patients qu’à leurs revenus, tel qu’en dépeint La Maladie de Sachs, le singulier roman de Martin Winckler (son second, neuf ans après La Vacation), qui a remporté le prix Inter cette année. Établi dans le village de Play, Bruno Sachs est un jeune médecin de campagne, patient et dévoué, mais tourmenté, révolté contre l’exercice déshumanisé de la médecine, contre l’impuissance de ses praticiens et, ultimement, contre la mort. «Comment mieux dire que les médecins crèvent malgré tout leur savoir?»

Soignant plutôt que docteur («Le Docteur "sait", et son savoir prévaut sur tout le reste. Le soignant cherche avant tout à apaiser les souffrances.»), Bruno Sachs, amoureux des mots depuis son enfance, écrit pour se décharger des angoisses de sa lourde tâche. Les appels en pleine nuit, les services de garde le dimanche, la souffrance côtoyée quotidiennement: ce n’est pas une vie, se dit-on. Un métier grand et humble à la fois, tant il se penche sur toutes les petites trivialités humaines.

Mais surtout, Martin Winckler – lui-même ancien disciple d’Hippocrate – donne la parole aux souffrants. Sauf dans ses écrits critiques, sortes de manifestes, le docteur Sachs est vu essentiellement de l’extérieur, via les monologues de ses patients. Très soigneusement construit, en petits chapitres concis, suivant la routine d’un cabinet médical, ce roman-vérité est porté par une multitude de narrateurs, adoptant chaque fois la voix d’un personnage différent: patients (chroniques, incurables, malades imaginaires, malades d’amour…), collègues médecins, secrétaire, mère, amis, amoureuse du bon docteur. De ce large panorama, se dégagent peu à peu des figures récurrentes, des histoires douloureuses, simples et vraies.

Miserere
Et quel meilleur lieu pour prendre le pouls de la misère humaine qu’un cabinet de médecin? Toute notre faiblesse, ce corps qui déraille et nous abandonne, notre condition fondamentale d’être biologique, et donc souffrant, y sont mises à nu. Dépouillée de ses faux-semblants comme de ses vêtements, l’humanité y livre sans retenue tous ses secrets au docteur-confesseur. Les petits bobos et les grosses peurs, les défaillances du corps et les blessures du cour. Comme le docteur Sachs, l’auteur préfère la compassion humaine aux données scientifiques: il recense minutieusement les douleurs les plus intimes. Parfois ironiques, souvent tendres, ces contes de la misère ordinaire, par leur exemplarité, leur caractère répétitif, atteignent une dimension universelle.

Même s’il faut de la patience pour traverser ce beau, mais volumineux, roman-plaidoyer, construit en réitérations – à l’image de la vie -, et apprivoiser la banalité quasi documentaire du début (la description en détail d’une consultation type), Martin Winckler (un pseudonyme, semble-t-il) a gagné son pari. On pourra toutefois trouver qu’à la longue, cette cohorte de voix finit par peindre un médecin un rien trop lourdement sanctifié, que le tout est un peu manichéen; ou bien – un détail, mais quand même – être agacé par les échanges entre le docteur et sa douce, rendus artificiels par un vouvoiement déplacé (alors que dans tous les discours des patients, un humble «tu» est de rigueur). Vers la fin, une histoire mélodramatique où les épouses ont le mauvais rôle fait brièvement déraper cet examen quasi clinique de l’existence humaine.

En fait, La Maladie de Sachs n’est jamais aussi poignante, aussi cruellement vraie, que dans ces chapitres où, de façon anonyme, s’empilent les doléances, les maux, anodins ou graves, des êtres. Dans cette symphonie pathétique de la souffrance quotidienne, dans ces plaintes obsédantes qui s’élèvent de partout, toute la fragilité humaine est rendue sensible.

La Maladie de Sachs
P.O.L. Éd., 1998, 474 p.