Louise Desjardins : On connaît la chanson
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Louise Desjardins : On connaît la chanson

Cinq ans après La Love, la poète LOUISE DESJARDINS revient avec un second roman: Darling. Une histoire traitant d’identité et d’épanouissement artistique, qui a la simplicité d’une chanson country.

Louise Desjardins est une poète qui a toujours aimé raconter des histoires. Pas surprenant qu’après une dizaine de recueils de poésie et un premier saut dans l’eau romanesque (La Love, Grand Prix du Journal de Montréal, en 93), elle publie un second roman, Darling.

En fait, c’est une poète pour qui le travail sur le langage n’est pas le premier attrait. «Les mots pour les mots, ça ne m’intéresse pas, explique Louise Desjardins. J’aime un texte qui coule comme de l’eau, un peu comme chez les Américains, quand je lis du Raymond Carver, par exemple. Je n’y sens pas le travail de l’écriture, même s’il y en a un grand.» Chez elle, pas de fioritures, pas de recherche d’effets. «J’aime beaucoup la sobriété, j’aime que l’effet soit en-dessous, et que le lecteur puisse prendre sa place dans le texte. Je travaille beaucoup mon texte pour l’épurer; pour qu’il y ait des couches de sens, mais qui ne se voient pas toujours à première vue, qui peuvent se manifester à une deuxième ou à une troisième lecture, un peu comme en poésie. Je pense que dans Darling, il n’y a pas juste une trame narrative; il y a aussi toutes sortes d’idées. Mais plutôt que de faire un discours ou de grandes descriptions, j’essaie de faire passer ce que j’ai à dire dans le dialogue, dans une atmosphère ou une odeur.»

Par petites touches anodines, Darling raconte donc une histoire d’une désarmante simplicité, comme en ont vécue beaucoup de femmes dans les années 80. Pauline Cloutier, 37 ans, engoncée dans un mariage de routine, mère de deux pré-adolescents, employée à tout faire dans un petit journal de quartier, se cherche. Dépressive, elle s’amourache d’un petit chanteur western d’origine italienne (!), croit trouver le bonheur entre ses bras, quitte mari, enfants et job. Finalement, c’est en renouant avec le pays – l’Abitibi – et avec la musique – le country – de son enfance que Pauline comprend qu’il faut qu’elle suive sa propre voie (x), sous peine d’étouffer.

Louise Desjardins a situé son roman en 82, juste après la vague féministe, à cette époque post-flower power et pré-sida où les gens ont perdu leurs illusions. «Pauline pense que tout est possible, qu’elle peut tout faire, mais elle se rend vite compte que ce n’est pas vrai. Tout n’est plus possible, il y a des choses dont il faut tenir compte. Peut-être que c’est ce que les années 80 nous ont amenés à découvrir, par rapport aux années 60-70, où on pouvait tout gaspiller, coucher avec tout le monde, ne prendre aucune précaution. On était des Titanic. Mais après, arrive la catastrophe, et là, il faut retourner aux choses plus fondamentales…»

Identification d’une femme
Ce qui apparaissait au départ comme une histoire d’amour s’aligne donc sur une quête existentielle. Avec Carlos, le chanteur «western spaghetti» à l’identité empruntée (plus complexe que les autres personnages secondaires), Italien incertain qui brouille les pistes quant à ses origines, l’auteure taquine aussi le thème de l’identité – centrale dans la littérature québécoise. «Mon idée, c’était d’essayer de cerner l’identité d’un être, par rapport à ce qu’il est, à la société, à son pays. Mais c’est quelque chose qui ne se cerne pas si bien, qui est tout à fait intérieur. Le personnage de Pauline, au début, se détermine par rapport à son entourage; elle est un peu éponge et ne se sent pas bien là-dedans. Elle finit par se trouver une raison d’être, et, ce faisant, se trouve elle-même. Mais c’est toujours une quête. On ne peut jamais dire qu’on est telle personne, et c’est fini. La vie, c’est la recherche de ce qu’on est. Et ça bouge. Quand on pense qu’on s’est trouvé, on s’est perdu. C’est normal qu’on essaie de se situer, dans le temps, dans l’espace, par rapport aux autres. C’est notre façon de lutter contre la mort. Tant que tu te remets en question, t’es en vie.»

Mais pourquoi le thème de l’émancipation d’une femme est-il si important pour l’auteure? Déjà dans La Love, elle racontait l’apprentissage d’une adolescente dans les années 50… «Peut-être parce que je trouve que c’est pas fait, rétorque Desjardins. Moi aussi, j’ai été obligée de me battre beaucoup. J’ai 55 ans, je viens de Rouyn-Noranda, une petite place que, dans le temps, il fallait quitter si on voulait continuer ses études après la onzième année. Mes parents n’avaient pas d’argent; je me suis débrouillée. Et j’ai fait ce que tout le monde faisait à l’époque (rire): je me suis mariée, j’ai eu des enfants, j’ai divorcé, j’ai refait des familles… Je pense qu’on a toujours la responsabilité, comme individu, d’aller plus loin et de s’affranchir de quelque chose. C’est ça, la vie: c’est se battre contre quelque chose. C’est jamais gagné.»

En digne fille de l’Abitibi – où elle est retournée vivre après des années à Montréal -, Louise Desjardins a intriqué son roman de chansons country, une musique qui a bercé son enfance. Les tounes que Pauline écoute sans se lasser – To Daddy, d’Emmylou Harris, Darling, de Renée Martel, mais aussi The Ballad of Lucy Jordan, de Marianne Faithfull – sont toutes des représentations de son propre état d’âme, de son histoire. «Ce sont des mises en abyme de mises en abyme», rigole l’auteure, qui a voulu donner à son roman la simplicité même du country, avec ses histoires du quotidien parlant directement au cour.

«Quand je suis arrivée à Montréal, je cachais mon amour pour le country, parce que les gens riaient tellement de ça – et encore aujourd’hui. C’est aussi symptomatique de tous les jugements très snobs qu’on peut porter sur toutes sortes de musiques – et d’écritures, aussi. Moi, je peux prendre beaucoup de plaisir à lire un Harlequin, une bande dessinée, un roman policier. Je trouve que tout ce qui est écrit est intéressant. On peut en tirer quelque chose. Je ne vois pas pourquoi il y a des genres nobles et d’autres pas.»

«La littérature, la musique sont nos assises affectives. Parce que le monde est fait pour qu’on n’ait rien à foutre de nos sentiments. C’est l’argent, l’ambition… Et tout le domaine affectif passe toujours comme étant un peu quétaine. Je trouve que le country, c’est ça: un exhibitionnisme de sentiments sans aucun détour. C’est ce qui me plaît là-dedans. Comme dans la littérature. Et moi, je pense que sans les sentiments, on n’est rien.»

Darling
Éd. Leméac, 1998, 233 p.