Maxime-Olivier Moutier : Hors la vie
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Maxime-Olivier Moutier : Hors la vie

Après deux recueils de récits, qui ont reçu un accueil plus qu’enthousiaste de la part de la critique, et connu un surprenant succès public, MAXIME-OLIVIER MOUTIER, jeune écrivain montréalais de 26 ans, lance son premier roman, Marie-Hélène au mois de mars. Un livre coup-de-poing, percutant, qui a la douceur amère d’une caresse en  détresse…

Ses deux livres précédents, Potence Machine et Risible et noir, avaient préparé le terrain, révélant une nouvelle voix dans le paysage littéraire québécois. Ses propos cinglants et cyniques, sa «grande gueule» lui ont valu une forte visibilité médiatique, qu’il s’agisse de parler de son écriture, des jérémiades des victimes du verglas, ou du fléau des enfants Ritalin! Chez Maxime-Olivier Moutier, aussi singulier soit-il, on sent le souffle, désespéré mais lucide, de sa génération. On détecte l’intelligence qui dérange.

Pour «gagner sa vie», il navigue entre une commande de scénario de film et un boulot dans le réseau de la santé mentale. Et dans sa première ouvre romanesque, qu’il qualifie de roman d’amour, l’auteur confie, sans pudeur aucune, l’expérience qu’il a lui-même vécue dans le milieu psychiatrique. Pas en tant qu’intervenant; mais bien en tant qu’interné!

Marie-Hélène au mois de mars relate donc l’histoire, survenue il y a un peu plus de trois ans, alors qu’il était étudiant à l’Université de Sherbrooke, de la tentative de suicide de Maxime-Olivier Moutier, de son internement dans l’aile psychiatrique de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, et de sa quête pour comprendre l’immensité de son désarroi. Le détonateur de ce plongeon dans la folie? Un amour bafoué.

«Fulguramment» autobiographique, ce cocktail de trahisons, de pendaison ratée et de vol en plein cour d’un nid de coucous pourrait arroser de son sirop trop mélo les après-midi de n’importe quel soap opera. Mais détrompez-vous! L’écriture de Moutier pue tellement le talent qu’on y respire les relents du génie trouble d’un Hubert Aquin. Rien de moins! En toute simplicité, avec la naïveté des grands qui doutent d’eux-mêmes…

Road interview
Pour réaliser cette entrevue, l’écrivain et le journaliste sont retournés sur les «lieux du crime». Comme des pèlerins, nous avons arpenté les rues de Sherbrooke, retrouvé l’appart où Maxime avait tenté de mettre fin à ses jours; nous avons mangé au café où il avait ses habitudes; nous sommes retournés à l’hôpital où il avait été interné, pendant deux semaines, au printemps 95, et où il a écrit fébrilement une large part de ce roman. Le walkman dans la poche, le micro au collet, l’écrivain s’est prêté, sans se censurer, au jeu du reality show d’une «road interview». Avec un sourire narquois, il a pointé du doigt le vieux bloc à trois étages: «C’est là que je restais. C’est là que c’est arrivé. La voie ferrée est juste en bas. De ma fenêtre, je la regardais et je me disais: c’est sûr que je vais me jeter devant… Quand le train passait, ça tremblait chez nous. Maintenant, ça ne me fait plus rien de venir ici… Moi, j’aurais aimé ça, devenir un joueur de hockey, boire ma bière, baiser ma blonde, pas me poser de questions. Crisse que j’aurais été ben! Mais pas être un écrivain!»

Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Bienvenue dans les méandres de l’univers étrangement passionnant du «symptôme Moutier».

Le symptôme Moutier
Le symptôme Moutier, c’est l’excuse facile de Maxime-Olivier quand il veut justifier l’inexplicable. Ce n’est donc pas évident de le définir. Le symptôme Moutier, c’est le bris de fabrication qui lui a contaminé l’intelligence, le microbe qui s’est incrusté, qu’on ne peut pas enrayer, qu’on ne peut qu’espérer dompter. Le symptôme Moutier, c’est la frustration de posséder une vérité sans avoir le pouvoir qui devrait venir avec… C’est la cicatrice d’un tatouage sur la chair de sa mémoire génétique. Ce qui rend son écriture si particulière. Et cette expression de «symptôme Moutier» fait partie du vocabulaire courant de l’écrivain: «Ça ne peut pas guérir; tu apprends à vivre avec, explique-t-il. Devenir écrivain, ça me permet de "dealer" avec mon symptôme. Quand tu as des malaises, au lieu de te dire que c’est la faute à la société, tu te dis que c’est à cause de ton symptôme. Marie-Hélène au mois de mars, c’est ça.»

Dans ce roman d’amour, Maxime-Olivier Moutier nous livre donc les sécrétions de son symptôme à vif. Son écorchure ne réside pas tant dans le drame conjugal qu’il y relate; elle est d’abord et avant tout investie dans l’écriture. Au-delà du récit poignant qui nous fait monter le «motton» dans la gorge, qui nous donne envie d’aller le rejoindre pour le consoler, au-dessus de la fibre émotive, il y a une écriture qui transcende tout. Il y a une façon d’organiser le chaos de ce gros party de mots qu’est un livre. C’est ça, aussi, le symptôme Moutier. Le statement qui fait mal! La poésie qui tue! «Ce qui change le monde, ce sont les rendez-vous ratés, les promesses oubliées, les balles perdues et les ambulances. C’est tout.»

Fabrication d’un écrivain
Loin d’être du genre à fouiller dans son enfance pour comprendre ce qui lui arrive maintenant, Moutier sait toutefois profondément que les origines de son écriture ne se trouvent pas simplement dans les causes et conséquences, tragiques, mais malgré tout «anecdotiques», de cet échec amoureux: «Ce n’est pas de Sherbrooke que vient le symptôme Moutier. J’avais deux ans et j’étais déjà comme ça. La plupart des gens qui m’ont rencontré m’ont trouvé assez "rushant". Je le suis moins maintenant, parce que j’ai appris à
vivre en société. Avant, je trouvais que tout le monde était menteur. Je le pense encore aujourd’hui, mais je vois les choses différemment. Avant, j’en souffrais. Quand je voyais chez quelqu’un des mécanismes de défense, je me sentais menacé. J’avais peur de la vie, j’avais un vertige! Ça m’angoissait de savoir que la vie était comme ça. Tout petit, je gueulais après les adultes et je mettais mes amis dehors parce que je les trouvais niaiseux. J’étais le boss de la rue… J’allais me plaindre aux voisins de ce qui se passait chez nous. Je vais raconter ça un jour dans un livre… J’ai voulu être adulte assez tôt dans ma vie; j’ai toujours été malheureux d’avoir été enfant. En fait, c’est pas compliqué: je suis heureux depuis dix mois! (rires) Tu trouves ça drôle?»

Drôle, oui, et réconfortant, surtout. Même si la fragilité est toujours présente chez lui. Parce qu’entre le Moutier torturé qui a griffonné les bases de ce livre, dans sa cellule à l’asile, en mars 95, et celui, soulagé, qui en assume aujourd’hui la responsabilité en le publiant, il y a toujours le symptôme qui persiste et signe: «Je ne sais pas pourquoi je me suis mis à écrire ça. C’était pas dans le but de me faire du bien. J’étais trop "décâlissé" pour penser à ça. C’était pour savoir ce qui m’arrivait. Tout à coup que le crayon se mette à écrire quelque chose. Et c’est un peu ce qui s’est passé. Il y a des détails que je pensais avoir inventés, mais j’ai l’impression que c’est la vérité… Les fous sont comme ça. Un psychotique est plus près de sa vérité. Je me dis que les gens qui vivent un événement comme la guerre doivent être moins cons, ils doivent tenir un autre discours en situation de détresse. Il y a quelque chose de profond dans l’état de crise. Quand je suis arrivé à l’hôpital, j’ai tout dit au psychiatre. Et je m’en foutais qu’il m’écoute ou pas. Je voulais parler. Je voulais pas qu’on me comprenne; je voulais le dire.»

Le suicide: une façon de parler
«Sans but précis, sans raisons prévisibles, la mort. Comme elle est arrivée chaque fois sur terre, bien à son aise, sans rien réinventer de ses vieilles stratégies. Efficace, plus forte encore que l’invention de Dieu. La Mort. La Mort, n’importe quand, qui nous choisit. Puis le suicide. La stratégie du suicide.»

En abordant aussi franchement cette question brûlante d’actualité, Moutier deviendra-t-il le suicidé de service qui a bien tourné? Sauf qu’il est impossible de passer le suicide sous silence quand on interroge la nécessité de ce livre, alors que les statistiques québécoises sont alarmantes, chez les jeunes hommes plus particulièrement, et que tous les «…logues» possibles et imaginables les auscultent.

Après avoir courtisé la mort, Moutier a réfléchi sur le geste. «Pour moi, le suicide, c’est une façon de parler; c’est vouloir faire
entendre quelque chose. C’est pas parce que tu es déprimé que tu te suicides! Tu te suicides parce que t’es pas reconnu. Le danger, en parlant du suicide, au Québec, c’est de dire n’importe quoi. J’ai déjà pensé que c’était à cause de l’indépendance du Québec. On n’a aucun projet: rien qui tient, rien qui marche. L’armée, ça marche pas; la police, ça marche pas; la religion, ça marche pas; étudier, ça marche pas; l’amour, ça marche pas. On fait quoi? Mais c’est pas pour ces raisons-là que j’ai essayé de me suicider. Quand je suis entré à l’hôpital, c’était clair que s’ils me laissaient sortir, je réessayais tout de suite. Je pouvais pas vivre dans ces conditions-là: si c’est ça, la vie, ça m’intéresse pas. Et je ne crois pas en Dieu, donc mourir, c’est pas dans l’espoir d’une vie meilleure… Le suicide, je ne vois pas ça comme quelque chose de seulement négatif. Je ne prône pas le suicide, mais je ne le dénonce pas. Sauf pour dire à la société: ouvrez-vous les yeux, il y a un abcès; c’est quand même pas un bon signe si les gens se suicident! J’irai jamais jusqu’à dire à quelqu’un qui a des tendances suicidaires: fais pas ça, moi j’t’aime; t’es important! Il y a des gens qui ont des raisons de se suicider; c’est honorable comme acte.»

Roman d’amour
En absorbant tout ça – le suicide, la folie, la détresse -, Marie-Hélène au mois de mars pourrait vous sembler n’être qu’un autre livre déprimant. Pourtant, on en sort réjoui; on se sent meilleur; ça réveille un espoir. «C’est un roman d’amour. C’est pas un roman, pas un livre. C’est de l’écriture. Car ça ne veut rien dire, l’amour. Je pense que je n’aimerai plus jamais. Cette histoire-là m’a changé. Je ne crois quand même pas que je vais en souffrir toute ma vie. Des fois, je me demande: est-ce qu’une femme peut m’aimer tel que je suis? Pourtant, Marie-Hélène m’a aimé; mais je ne la croyais pas… Durant mon analyse, je n’ai parlé que de ça. Le jour où je ne penserai plus à Marie-Hélène, je vais être guéri.»

Nous avions demandé à la véritable Marie-Hélène, qui a inspiré ce livre, de nous donner sa version des faits. Malgré quelques réticences, l’héroïne était prête à y jeter un oil, sans nous promettre quoi que ce soit. Sauf que le manuscrit ne s’est jamais rendu jusqu’à Marie-Hélène. Au moment de le lui livrer, un appel de détresse de Maxime-Olivier Moutier est venu compromettre le plan: «J’ai pas fait trois ans d’analyse pour revenir au point de départ!»
Toujours fragile…

Marie-Hélène au mois de mars
Roman d’amour
Éd. Triptyque, 1998, 162 p.
Lancement-happening
avec DJ Vitamine S et Martin Dumais
Performance des Organic Fresh Heroes
Jeudi 27 août, 17 h 30
L’Air du temps
Info: 597-2335