Carton jaune : Carton jauneDe Nick Hornby
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Carton jaune : Carton jauneDe Nick Hornby

Vu d’ici, la passion du football (le soccer, si vous préférez), et les débordements qu’elle provoque parfois outre-Atlantique peuvent sembler difficiles à comprendre. Comme une sorte de virus exotique contre lequel nous serions plus ou moins immunisés. Et, à en croire Nick Hornby, c’est bien ce dont il s’agit pour certains Anglais: une maladie incurable, une fièvre exaltante mais douloureuse, qui contamine toute la vie de celui qui en est atteint.

Avant d’écrire l’acclamé Haute fidélité (Plon, 96), le populaire auteur britannique s’était fendu d’une confession sportive et intime sur son obsession pour le football et, plus précisément, son adoration pour Arsenal, un club mal-aimé du Nord de Londres. Carton jaune (Fever Pitch, 1992, dont on a tiré un film) analyse un phénomène social qui en dit long sur la société anglaise – pas surprenant que le récit ait récolté un tel succès dans la fière Albion. Le réseau de ligues, de divisions du foot, peut faire écho au système anglais de classes sociales. Mais c’est avant tout sa propre passion, dévorante et persistante, que Nick Hornby, foudroyé à onze ans, a tenté de comprendre en écrivant ce bouquin.

Pour l’écrivain, le football est bien davantage qu’un jeu, représentant «une autre conception de l’univers», qui lui servira d’abord à communiquer – d’une façon toute masculine – avec son papa fraîchement divorcé. Le sport rythme toute son existence. «J’ai réglé ma vie sur Arsenal et chaque événement personnel de quelque importance éveille un écho dans l’univers du foot.» Étalé sur une période de 25 années, le livre est découpé suivant les dates de matchs significatifs, auxquels correspond une thématique, autant la violence dans les stades anglais que sa propre dépression (guérie, au bout de dix ans, grâce à une victoire d’Arsenal!).

Dans ce témoignage qui mêle la biographie à la sociologie du foot, Hornby nous fait partager les joies et les souffrances d’un mordu du ballon rond. «Aucune union n’impose son joug avec autant de rigueur que ce genre de liaison. (…) Durant plus de vingt-trois ans, j’ai étudié le contrat qui me réduisait en esclavage, j’y ai cherché une échappatoire. Il n’y en a pas.» Il analyse ses comportements excessifs avec tout le sérieux dont sont capables les fanatiques, une précision qui en devient comique, et un sens poussé de son propre ridicule. Maniaque au point d’organiser toute sa vie autour du calendrier de son équipe favorite, l’ardent fan ratera ainsi les soupers d’anniversaire et les noces d’intimes; remettra en question la conception d’éventuels enfants, au cas où ceux-ci auraient le mauvais goût d’encourager une autre équipe. Le jour d’un match décisif, le superstitieux ira jusqu’à mettre dans la balance l’élection des Conservateurs de Miss Maggie, en échange d’une victoire.

Livré ici dans une traduction peut-être un peu aseptisée, et émaillé de coquilles, Carton jaune traite certes- en long et en large – de foot. Le néophyte se perdra un peu dans la profusion de noms de joueurs, de clubs et de coupes. Mais ce récit minutieusement détaillé d’une obsession – n’importe quel monomaniaque peut y transposer ses propres manies – est aussi une entrée dans l’univers de Hornby, qui explique sans doute les contours de son monde fictif. Comme tous les livres de l’auteur (dont le récent About a Boy), il traite de la difficulté de devenir un homme adulte. Un stade auquel les héros hornbiens, adolescents attardés régis par la culture populaire, musicale ou sportive, ne sont pas encore parvenus, mais vers lequel ils cheminent doucement – c’est là tout le parcours de ses romans.

Ses thématiques relèvent aussi de l’adolescence: l’adaptation difficile au monde et l’appartenance à un groupe, dont Hornby décrypte soigneusement les codes, que ce soit un club de foot, une famille, ou une secte restreinte d’adorateurs de rock. Dites-moi ce que vous aimez, je vous dirai qui vous êtes. A ce titre, les livres de Hornby sont tellement ancrés dans la culture contemporaine qu’ils donnent l’impression de surfer sur le monde sans s’y immerger en profondeur.

Mais ce qui fait leur charme, c’est cet humour «auto-dérisoire» qui teinte chaque page. C’est peut-être là une littérature qui n’a pas atteint les rives de la maturité, mais qui fait, justement, tout son sel de l’immaturité de ses héros. Traduit par Gabrielle Rolin, Plon, coll. feux croisés, 1998, 229 p.