Poésie : Champ de mines De Josée BrassardLes Nouveaux Poètes d'Amérique De Robbert Fortin
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Poésie : Champ de mines De Josée BrassardLes Nouveaux Poètes d’Amérique De Robbert Fortin

Il y a du renouveau à l’horizon poétique; des voix se lèvent et font battre les mots. Du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Josée Brassard, qui fut tour à tour enseignante, journaliste et libraire, livre un premier recueil percutant où les mots bien comptés pèsent de tout leur poids. On ne traverse pas indemne son Champ de mines, vaste exorcisme de l’amour ravageur, ravaleur, de la vie infectée du mortel venin: «Vingt ans et je me shoot […] L’amour s’injecte en une seule dose / violemment, directement / dans les veines, dans la tête / le corps excite, exit […] Trente ans et je suis intoxiquée / il n’y a pas d’antidote connu.»

Au fil de poèmes aux titres brûlants, Combats, Guerrière, Incandescence, Sevrage, Contamination, la poète effectue une traversée des apparences qui est un dur apprentissage: «La barque chavire / le délire emportant les convenances / rien ne peut contenir une marée montante / la mémoire de cette odeur tenace / me donne l’envie de vomir /ah! dégoût du monde et de ses survivants / je vis l’abandon de celle qui a abandonné / comme une perte d’équilibre à la vitesse du son / combien de temps pour oublier?» Aux blessures du quotidien s’ajoute celle d’un monde à feu et à sang: «Pendant que la moitié de la terre fête / l’autre fuit le passage des chars».

Atteinte par la violence, en quête de tendresse, l’auteure de Champ de mines trouve une sorte de sérénité au bout de la désillusion. D’une belle unité, le recueil de Josée Brassard, dans lequel les jeux calligraphiques donnent une résonance particulière aux mots, émane de la vraie vie des combats intérieurs.

Faisant écho à cette nouvelle voix, Les Nouveaux Poètes d’Amérique, sixième livre du poète et artiste visuel Robbert Fortin, qui renoue avec sa manière plus dénonciatrice d’avant son précédent recueil de «choses fragiles», Jour buvard d’encre (Éd. du Vermillon, 1997), offre ce que l’éditeur appelle ici un «chant de guerre qui enterre résolument le XXe siècle et sa modernité sénile». Faisant flèche de tout bois, Fortin, qui a connu plusieurs renaissances, scande un plus jamais rimant avec la mort.

«Never more le stress / l’agression l’hystérie / les espèces d’abrutis / les télés tintamarre / où s’engueulent se battent les dindes / rien ne justifie l’insignifiance / never more les chiens / qui veulent dormir avec mes rêves / pour les saigner contre ma tempe / never more / la tristesse bidonville / les enfants de la faim / aux guichets de l’espoir…»

Effectuant un dernier tour dans ce siècle finissant dans la décadence des communications via computer, du commerce et des guerres permanentes, le poète cherche à redire l’essentiel d’exister: «Peut-on recommencer / taché du sang des autres», demande-t-il, avant d’affirmer l’absolu de la poésie et de la vie: «J’ouvre le siècle /au langage du dedans / à mon corps confluent / à mes fugues Albatros / dans l’invisible tissage / d’appels et de réponses / les yeux irrités d’inexplicable / pour que l’univers s’entretienne /avec l’univers / comme une foi tolérable.» Des toiles et collages, images saisissantes, complètent le recueil.

Champ de mines, Éd. Félix, 1998, 64 p.
Les Nouveaux Poètes d’Amérique, Éd. Les Intouchables, 1998, 80 p