François Barcelo : Travail au noir
Livres

François Barcelo : Travail au noir

François Barcelo publie son dix-huitième livre, Cadavres, chez Gallimard, devenant le premier Québécois à entrer dans la Série noire. Les Français sont en retard d’un train: il y a dix-sept ans que l’auteur d’Agénor, Agénor, Agénor et Agénor nous honore de son imagination et de sa prose savoureuse…

L’homme est auteur de quatorze romans, d’un recueil de nouvelles, un livre jeunesse, et même d’un guide de parcours pour la course à pied, du temps qu’il vivait sur le Plateau Mont-Royal. Aujourd’hui, François Barcelo sillonne les routes montérégiennes à bicyclette (il habite Saint-Antoine-sur-Richelieu depuis six ans et demi), et c’est au détour d’un petit chemin qu’il a vu l’un des lieux où se déroulerait son Cadavres, roman noir publié chez Gallimard, dans la populaire mais non moins prestigieuse Série noire, devenant le premier Québécois (on va en revenir un jour de ces exploits dans la vieille mère patrie) à publier chez l’éditeur français, avec un tirage initial de six mille exemplaires. «Bien sûr que ça fait plaisir, je ne peux pas le nier, avoue Barcelo sans fausse modestie. Mais ce n’est quand même pas la consécration. Si j’étais publié sous la couverture blanche, peut-être. Tandis que la Série noire, c’est quand même du roman de genre, je ne veux pas pavoiser, ça ne fait pas de moi un grand écrivain.»

L’auteur né un 4 décembre, en 1941, flânait sur les plages mexicaines quand il a eu la nouvelle de la publication d’un de ses précédents romans. «Mon contact premier avec la Série noire, c’était un envoi de Moi les parapluies [Libre Expression, 1994], après que le livre eut été publié ici; je voulais tout bonnement vérifier si c’était ou non un roman noir. Mon problème, c’était qu’ils voulaient le publier. Alors j’ai commencé un roman inédit, Cadavres, dont je n’avais que la première phrase en tête. Et l’éditeur m’a répondu en trois semaines, ce qui signifait, je pense, qu’il avait aimé ce que je lui avais envoyé. Alors je travaille à d’autres romans noirs que je devrai leur soumettre; il est possible que je leur en fasse un par année ou par deux ans; il est possible aussi que je cesse d’en écrire tout court. Je ne sais pas…» Barcelo avoue ne pas être fanatique du genre. «Je consomme très peu de romans noirs; bien sûr, j’en ai lu un peu plus depuis les derniers mois puisque je fais partie de cette collection – j’ai lu entre autres des livres de Patrick Raynal, directeur de la collection: je crois qu’ils aiment bien qu’on ne soit pas trop inculte à l’égard de ce qu’ils ont écrit…»

Le statut de la liberté
Barcelo a horreur de se sentir obligé d’écrire. Il écrit en fait parce qu’il aime ça, évidemment, mais également parce que son «petit public» lui procure une entière liberté…: «J’ai plutôt des "fans" qu’un "public", et je préfère ça qu’avoir dix pour cent des lecteurs qui ne m’aiment qu’un peu… Et si je suis prolifique, c’est que j’ai la chance que mes romans ne se vendent pas si bien que ça: si le fait d’écrire un roman me rapportait 30 ou 40 000 dollars, j’en écrirai peut-être trois ou quatre par année. Et ils seraient peut-être moins bons. Je me retiens un peu d’écrire, pour que ce soit meilleur.»

L’écrivain ne se gêne pas pour parler de sa condition d’auteur… qui n’est d’ailleurs pas si mauvaise que ça. «Je gagne à peu près 12 000 par année. Je n’ai pas honte d’en parler. Mais bien sûr, j’ai quelques économies du temps où je travaillais en publicité, et j’ai parfois des bourses, qui mettent du beurre dans les épinards. Et puis ma maison est payée, mes enfants élevés, je n’ai pas à me plaindre…»
Il se paie même de petites et de grandes escapades pendant lesquelles il écrit le premier jet de ses romans. Récemment, il était au Vermont, dans un camping tout simple. «Je suis loin de tout, et là, j’ai écrit une cinquantaine de pages. J’écris comme ça, en blocs serrés; bien sûr, il y a du "retravail" à faire après… Mais il y a des moments de grâce, où l’on écrit deux ou trois pages sans ratures. Pour faire ces "blitz" d’écriture, j’ai besoin d’être isolé, sans interruption mentale.»

Bien qu’il adore le dépaysement, François Barcelo a écrit un Cadavres loin de ses habitudes. «Cadavres est un roman anti-voyageur, où le héros, lui, contrairement à son géniteur, n’est pas allé plus loin que Vaudreuil ou Rimouski. C’est vrai que beaucoup de mes romans sont des romans de voyageur. Qui m’ont d’ailleurs souvent été inspirés par la crainte; celle par exemple de me faire dépouiller de tout, comme dans Nulle Part au Texas, où mon personnage qui se baigne tout nu ressort et ne trouve plus rien de ce qui lui appartenait…» Barcelo a le sens du comique, de la dérision, du punch. Et ses romans ont tout pour se retrouver adaptés au grand écran. «Un de mes livres fait effectivement l’objet d’une option au cinéma, mais le film ne sera probablement jamais réalisé. En tout cas, j’espère que ça ne le sera pas, parce que la dernière version du scénario que j’ai lue n’est pas géniale… Je suis pas sûr non plus que j’aimerais moi-même écrire pour le cinéma, je voudrais pas être"obligé" d’écrire: on vous paie pour écrire un scénario mais vous vous ennuyez à mourir, et il faut le rendre parce que vous avez été payé… Il me semble que j’essaierais d’avoir une rémunération de tant par mois, et la possibilité d’abandonner quand je voudrais, mais ça, les producteurs n’accepteraient jamais…» Et il y a surtout que Barcelo est du côté des livres, et aime infiniment son statut d’auteur et de lecteur. «Les livres ont l’avantage sur la télévision de ne pas rendre les gens plus crétins qu’ils ne le sont.» Sur le cinéma, les livres ont l’avantage de pouvoir exister plus facilement. «Le cinéma a l’obligation de plaire au plus grand nombre; alors que le livre qui ne serait lu que par un pour cent des gens dans le monde pourrait faire la fortune de son auteur.» Ce lecteur de William Boyd, Philip Roth, Jacques Poulin, et Louis Hamelin aime le divertissement intelligent. Ce qu’il sait très bien faire, depuis presque une vingtaine d’années.

Cadavres
de François Barcelo
«Savez-vous quand j’ai regretté d’avoir tué ma mère?» Ainsi commence le récit à la première personne de Raymond Marchildon, qui contemple, la veille du jour de l’An, le toit de sa Pony déglinguée, et disserte sur la tôle et les vieilles minounes, en attendant sa sour Angèle, vedette de la série Cadavres (écrite par Fabien Dubois et Réjeanne Delorimier, un couple qui nous rappelle quelque chose), pour vivre de mornes retrouvailles. Ils fêtent donc le Nouvel An en mangeant du Kraft Dinner, pendant qu’Angèle découvre sans surprise le délabrement dans lequel vivaient son frère et sa mère. Mais, surprise, celle-ci était créative: «Elle parlait des hommes dans la murale de maman. Une murale pas terminée, et qui ne l’aurait jamais été même si elle avait vécu encore cent ans. Une fois, maman avait entendu une expression à la télévision: "Walking progress".» Raymond, personnage pas très futé et plutôt de mauvaise foi, semble se contenter de sa situation. Mais plusieurs cadavres et quelques cochons plus loin, on connaîtra les étranges liens qui ont tissé le destin de ces tristes enfants que des parents ont mal aimés. Plutôt parodie que véritable roman noir, Cadavres révèle un auteur à l’imagination fertile – ce qu’on savait déjà. Un bon divertissement qui, s’il ne révolutionne pas la littérature, est tout plein d’ironie et de sarcasme, et permet aux lecteurs et lectrices un salutaire défoulement. Éd. Gallimard/coll. Série noire, no. 2513, 1998, 224 p. (P. N.)

Pour en savoir plus sur François Barcelo, lire des premiers chapitres de ses romans, ou prendre des nouvelles de l’auteur, visitez son site Internet: www.aei.ca/~barcelof