L'Enfant migrateur : Voies parallèles
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L’Enfant migrateur : Voies parallèles

L’Enfant migrateur
d’Aude

Après Cet imperceptible mouvement, qui lui a valu le Prix du Gouverneur général en 97, Aude revient en force au genre romanesque avec L’Enfant migrateur. Une fable sur la fragilité de la vie et la beauté douloureuse des liens affectifs, qui pourrait être un peu l’envers du terrible Cinquième Enfant de Doris Lessing – le livre, entre tous, à ne pas mettre entre les mains d’une future maman…

Aude a pris pour point de départ le phénomène captivant de la gémellité, qui devient ici une métaphore de la dépendance affective, du besoin viscéral et souffrant que nous avons les uns des autres. Des jumeaux se partagent le ventre de Corinne; mais l’un a pris tellement de poids et de place aux dépens de son frère que les médecins sont persuadés que ce dernier est déjà mort. L’enfant naît pourtant, chétif, maladif, mais s’accrochant à la vie. Hans est un garçon costaud. Le Petit, toute sa courte vie durant, restera vulnérable et sujet aux séjours à l’hôpital.

Mais l’auteure a l’intelligence de creuser sous la surface: le plus fragile des deux n’est pas celui qu’on pense. Sous ses allures d’enfant normal, Hans se révèle avide de symbiose, déclenchant des crises à chaque tentative de le séparer de son jumeau, incapable d’accepter cette solitude fondamentale qui est notre lot à tous.

Alors que le Petit reste à distance du monde réel, telle une énigme fascinante – un mystère léger qui plane sur tout le roman -, une lumière douce mais chaleureuse, une présence rassurante, bien que pas tout à fait concrète. Comme libéré des contingences sociales, scolaires, il parle peu, attentif au cour des choses. Si bien que tous, autour de lui, le croient affligé d’un retard mental. Mais Hans, lui, sait.

«Hans ne supporte pas l’idée que plus le temps passera, plus le chemin du Petit s’éloignera du sien. Non pas parce que le Petit n’a pas ce qu’il faut pour faire des études et avoir une vie que Corinne et Pierre appellent "normale", mais parce qu’il n’en veut pas, de cette vie. Le Petit préfère prendre une voie différente. (…) Hans est certain que cette voie est la meilleure, celle qui a le plus de sens. Mais elle lui est interdite, à lui.»

D’une certaine façon, le Petit représente le don; et Hans, le besoin de fusion.

Progressant avec fluidité par courts chapitres, à coups d’ellipses temporelles, L’Enfant migrateur fouille en profondeur les sentiments de symbiose et de jalousie (de la part de la sour aînée des jumeaux, notamment) qui teintent les relations interpersonnelles, tout en préservant le caractère un peu évanescent de l’ouvre, cette homogénéité formelle qui lui prête une portée plus universelle qu’anecdotique. Le roman soutient presque de bout en bout – quelques phrases sonnent un peu moins bien – le difficile pari de la pureté dépouillée de l’écriture.

Cette histoire émouvante et secrète, qui interroge les liens cachés qui nous unissent aux autres, s’insinue étrangement en nous. Sous son apparente simplicité, elle résonne en profondeur. Éd. XYZ, 1998, 147 p.