Mercure : La belle captive
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Mercure : La belle captive

En 1923, au large de Cherbourg, dans l’île de Mortes-Frontières, Hazel, jeune fille pure et innocente, écoute avec délices les histoires du Capitaine Omer Loncours, vieux rabougri à la silhouette de Nosferatu, qui l’héberge dans sa prison dorée. Il lui raconte «ses combats contre des pirates patagons ou ses aventures de forceur de blocus en mer de Chine», la couvre de cadeaux, de soins, et d’un peu trop d’amour. Leur étrange vie de couple bascule lorsque Françoise Chavaigne, infirmière à Noud, village de l’autre rive, est convoquée par Loncours pour prendre soin de la petite, cadette de son bienfaiteur de plus de cinquante-quatre ans.

«Quand Françoise découvrit le visage de la jeune fille, elle ressentit un choc d’une violence extrême. Fidèle aux instructions qu’elle avait reçues, elle n’en laissa rien paraître.» Que cache Hazel? L’infirmière l’interroge, inspecte le château, et découvre qu’il n’y a sur ses murs aucun miroir, aucune surface réfléchissante. Que se passe-t-il sur cette île? Qui est Loncours? Qui est cette jeune fille… qui n’a jamais vu son reflet?

L’enquête de Françoise Chavaigne vire, comme dans tous les romans d’Amélie Nothomb, à la joute verbale à l’issue de laquelle l’un des personnages devra sortir victorieux. La jeune infirmière voudra tout savoir de cette étrange existence à laquelle elle a été conviée, et dont elle ne pourra rester une simple spectatrice. Alors que le vieillard surveille tout de ses allées et venues, de ses paroles, de ses conversations avec Hazel, l’infirmière devra user de ruses et d’audace pour arriver à tirer au clair cette sinistre comédie.

Brodant sur le thème de la captivité, de la beauté et de la laideur, de la jeunesse et de la vieillesse, du bourreau et de la victime,

Amélie Nothomb ne tire pas les conclusions auxquelles on s’attend, bien évidemment. Évoquant parfois son précédent roman, Attentat, Mercure est un récit plus achevé sur le plan formel; les dialogues sont plus incisifs, les personnages plus fantasmatiques, plus colorés. Nothomb tisse de jolies métaphores autour de ses obsessions que sont le temps, la destruction (et l’autodestruction), la détention, la psychologie, la littérature. «Selon moi, ce qui rend la prison intéressante, ce sont les efforts que déploie le détenu pour s’en évader.»
Quand Françoise devient la seconde victime de Loncours, elle n’a de cesse de dévorer les romans qui hantent le château, donnant l’occasion à l’auteure de disserter, entre autres, sur Stendhal et La Chartreuse de Parme avec humour et fantaisie. Mais, même si la lecture de Mercure fut un moment de grand plaisir, je ne peux m’empêcher de trouver qu’Amélie Nothomb récrit un peu Attentat, Les Catilinaires, et même Hygiène de l’assassin. Mais qu’importe: dût-elle tourner en rond, je tournerai avec elle encore longtemps…

Mercure
d’Amélie Nothomb
Éd. Albin Michel, 1998, 226 p.