Michèle Lemieux : Nuit d’orage
La Québécoise Michèle Lemieux a mérité en 1997 le grand prix de la Foire internationale du livre de Bologne avec ce très bel album, dont elle signe le texte et les illustrations. D’abord paru en allemand, il vient enfin d’être publié dans sa langue d’origine… chez un éditeur français. Cela s’explique assez facilement, et tristement aussi: le coût de production d’un tel livre est trop élevé pour les éditeurs d’ici, compte tenu du bassin de lecteurs. Sobre et simple, en noir et blanc, cet album nous invite à tendre l’oreille à la rêverie insomniaque d’une petite fille. Une manière de privilège, comme un secret partagé.
Les cent une pensées qui assaillent l’enfant dans la solitude de sa chambre pendant une nuit d’orage sont illustrées avec une imagination et une force d’évocation saisissantes, et le graphisme aéré laisse de l’espace, c’est-à-dire du temps, pour la réflexion. La petite confie ses peurs, ses espoirs et ses inquiétudes; elle philosophe sur l’identité, l’avenir, la mort; elle se pose un tas de questions, drôles parfois, candides bien sûr, mais souvent graves: «Où finit l’infini?», «Suis-je belle?», «[…] si on pouvait changer de corps, est-ce que quelqu’un choisirait le mien?», «Des fois je me sens en détresse», «Est-ce que quelqu’un veille sur moi?», «Est-ce qu’un jour je serai un héros?»; et celle-ci, moins naïve qu’il n’y paraît: «Est-ce que je le saurai quand ce sera le temps de mourir?»
En traversant ce merveilleux hommage au regard lucide et désarmant de l’enfance, on s’émeut de retrouver là, pêle-mêle, nos interrogations d’antan comme celles d’aujourd’hui. J’oubliais de dire que Nuit d’orage s’adresse aux enfants de huit ans et plus. Mais un livre comme celui-là, qui invite à la méditation et au silence, c’est trop rare pour qu’on ne s’y arrête pas, quel que soit son âge. Éd. Seuil Jeunesse, 1998, 240 p.