Poésie: Antonio D'Alfonso/Hélène Dorion : A mots ouverts
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Poésie: Antonio D’Alfonso/Hélène Dorion : A mots ouverts

«Je ne conçois de poésie que personnelle. Il faut absolument cesser de fabriquer une poésie distante et qui suit la mode», écrit Antonio D’Alfonso au début de son recueil L’apostrophe qui me scinde. Pour sa part, Hélène Dorion nous a habitués, au fil d’une quinzaine de recueils, à une poésie de l’intime exigeante et dense. Avec Les Murs de la grotte, elle remonte aux origines de la Terre, de l’Univers, de l’Homme, prenant «la mesure du monde», naissances et renaissances marquant le passage du temps. Poésies de la parole singulière, poésies ouvertes sur l’espace et le temps.

Le travail poétique de la directrice littéraire des Éditions du Noroît a été consacré par des prix prestigieux, dont le prix Alain-Grandbois de l’Académie des lettres du Québec (pour Sans bord, sans bout du monde) et le Prix International de Poésie Wallonie-Bruxelles. Avec Les Murs de la grotte, Dorion poursuit sa quête du sens de l’existence humaine à travers le chaos terrestre: «Lumière d’avant l’aube / souffle d’avant le souffle premier / tu traverses la ligne des jours / cherchant le chas de l’aiguille / l’étincelle des pierres / qui frottent les unes contre les autres. / Lumière, tête chercheuse / à travers nos siècles d’ombres. / Nous voici dans la grotte / où s’entassent nos espoirs. / Au commencement était l’amour/puis le monde a basculé.»

D’une limpidité fluide, les textes de ce recueil nous ramènent à l’essentiel, à la simplicité de l’essentiel: «Tout s’achève et recommence: / poussière, semence et lave / – minuscules maillons de nos cavernes intérieures.»

En vers et contre tous
Poète et directeur des Éditions Guernica, Antonio D’Alfonso offre, avec L’apostrophe qui me scinde, un recueil remuant et varié de prose poétique, qui fait écho à celui d’Hélène Dorion. «Je veux que les histoires qui m’ont fait me racontent et racontent aussi les peuples qui me traversent», écrit-il, donnant un sens autobiographique très large à sa poésie. Toujours errant, passant d’un pays à un autre, d’une langue à l’autre, le poète rapaille toutes ses origines dans sa recherche de l’essence poétique: «If only je pouvais scriverti così semplicemente, mit nada de demasiado, sans ce body dismembered par les entêtés bien ancrés dans leur terre.»

Textes épars écrits à Debrecen, Paris, Montréal ou Toronto, tous sont marqués par les interrogations intimes sur le travail poétique, la parole écrite, l’appartenance à une société si peu encline à la poésie, la relation à l’autre, l’amour. Quelque chose d’écorché, de douloureux nous frappe à la lecture de ces pages: «Profondément heureux, comme du sang qui jaillit soudain d’une blessure: mon état présent. Sans langue, sauf celle qui chatouille ma femme jusqu’à ce qu’elle s’abandonne à elle-même, et à moi. Sans pays, sinon celui des solitaires qui vont toujours de l’avant, contre le grain de la société. Toute parole qui surgira de nous blessera inévitablement. Pour quelle ridicules raisons s’humilier devant le dur et le clos?»

Le recueil d’Antonio D’Alfonso se termine par un texte réflexif sur la poésie, le poétique et le poème. L’auteur tente d’y définir ce qui fait les poètes essentiels. Son livre et celui d’Hélène Dorion propulsent la poésie d’ici dans un avenir ouvert.

L’apostrophe qui me scinde
d’Antonio D’Alfonso
Éd. du Noroît, 1998, 80 pages

Les Murs de la grotte
d’Hélène Dorion
Éd. de la Différence, 1998, 96 pages