Vert, de Marie-Andrée Lamontagne : La vie est un roman
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Vert, de Marie-Andrée Lamontagne : La vie est un roman

Il y a beaucoup de nouvelles lois quand on atteint l’adolescence, comme celle-là qui frappe insidieusement, qui dit que l’on ne pourra plus passer l’été à rêvasser, à lire, à se balader dans la nature, parce qu’aux yeux de tous il semble qu’une activité plus productive soit désormais de rigueur, une occupation saine qui prouve que l’on fonctionne correctement dans le vrai monde.
C’est là qu’en est rendu Francis, narrateur de Vert, premier roman de Marie-Andrée Lamontagne, éditrice chez Leméac et directrice de la revue Liberté.

Ainsi donc, Francis choisit de tâter de cette réalité qui l’horripile, et il prend un emploi d’été à l’usine d’embouteillage de Coca-cola des environs. C’est qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à part les exploitations minières dans son coin de pays: un petit village qui s’appelle Saint-Adrien d’Irlande, quelque part au nord de Thetford Mines. Le genre de place où il est certainement plus tentant qu’ailleurs de se réfugier dans son imagination, et où la décision de se mêler au monde ouvrier, surtout quand on n’y est pas forcé, a quelque chose d’imprudent, même ici quelque chose d’incohérent.

Mais l’adolescence a de ces nécessités. Et malgré un langage châtié et une pudeur qui placent Francis plus sûrement du côté des vieux que des jeunes (on tombe d’ailleurs des nues lorsqu’on le voit arborant les lettres de Pink Floyd sur son tee-shirt), il est comme tout adolescent qui essaie de survivre à son délire métaphysique, à la petitesse d’esprit de son entourage, aux exigences maladroites de son corps, et qui interroge les injustices et les cruautés de la vie.

L’éducation sentimentale
Marie-Andrée Lamontagne a choisi une facture romanesque très dix-neuvième siècle pour raconter cet été d’apprentissage dans la vie d’un garçon petit-bourgeois, comme elle le dépeint, auquel se grefferont par ailleurs d’autres personnages, beaucoup plus caricaturaux que Francis: un garçon de la classe ouvrière passionnément engagé dans la cause marxiste-léniniste (qui a l’étrange habitude du baisemain), une fille formidablement normale qui s’apprête à faire médecine, et une chanteuse de cabaret paumée que Francis finira par emprisonner et forcer au jeûne afin qu’elle lui raconte sa vie amoureuse (une violence à laquelle on a du mal à croire venant de ce garçon).

Récit de la vie de gens du peuple, Vert est d’ailleurs dédié à Emma Bovary, à qui Francis emprunte l’amour de la lecture et le désir d’échapper, par l’imagination, à la médiocrité de l’existence. Mais on y est aussi chez Emily Brontë à chaque visite dans le cimetière anglican qu’affectionne Francis, et où l’austérité ne peut manquer de masquer la verdure du paysage. Vert souffle quelque chose d’ancien. Une narration, au demeurant fort bien écrite, assez sinueuse, qui passe systématiquement d’un fait présent à un souvenir ou plus sûrement à l’imagerie que ce fait évoque chez Francis. Des préoccupations socialistes qui datent quelque peu. Une retenue dans les corps et les émotions. Vert pourra plaire, ou alors donner l’impression d’avoir été écrit un siècle trop tard.

Heureusement pour Francis, qui aura vu de plus près, au bout de son été, la médiocrité de l’existence, Marie-Andrée Lamontagne ne sera pas aussi cruelle que Flaubert.

Vert
de Marie-Andrée Lamontagne
Éd. Leméac, 1998, 189 p.