Noël Audet : La Terre promise, Remember!
Après le célèbre cochon de Marie Darrieussecq (Truismes, 1996), voilà le porcin nouveau, grincheux mais cultivé. Baptisé Remember 68, il est arrivé par voie aérienne grâce aux bons soins de Noël Audet, romancier, professeur, essayiste, à qui l’on doit plusieurs romans qui ont l’espoir et le Québec au cour, dont le beau Quand la voile faseille (1980), et, le plus connu, L’Ombre de l’épervier (1988).
La littérature est ainsi faite qu’un cochon peut l’être plus ou moins, voler comme un avion dans le ciel sans bombarder ici et là les preuves de son alimentation, avec une grâce qui nous fait d’ailleurs oublier sa puanteur certaine, et un tel goût pour l’ouvre de reproduction (qui le ramène régulièrement sur terre) qu’on lui passe finalement son caractère de cochon.
Tel est Remember, dernier maillon d’une lignée de cochons-reproducteurs implantée dès 1780 en Gaspésie dans la famille Doucet, et que Noël Audet a aussi doté d’autres singulières qualités, dont celle de faire des rimes (à bien y penser, dans son cas ce serait plutôt une tare!) et celle de voyager dans le temps. C’est ainsi que le cochon s’envolera, avec à son bord, main sur le gouvernail (hmmm), Emmanuel Doucet, peintre à temps partiel, curieux à temps plein, désireux de retracer l’histoire de sa famille depuis l’arrivée de son ancêtre Nicolas Doucet à Québec en 1664, jusqu’à celle de ses descendants, en Gaspésie, puis à Sainte-Julie (incidemment toujours des Nicolas et des Gabriel; et un Xavier Audet dans le portrait).
Il fallait un courage certain pour publier aujourd’hui cette histoire (et du coup notre propre Histoire) abrégée et certes romancée de la nation canadienne-française, alors qu’indiscutablement un pan – peut-être même un pan énorme – de la population québécoise préférerait non pas oublier cette Histoire, mais l’inscrire dans un débat qui n’aurait pas été déjà, comme il promet de l’être encore, mille fois rabâché. Noël Audet a comme atout d’être excellent conteur, humoristique avec ça; c’est pourquoi lorsqu’il identifie les moments du passé où d’aucuns auront abandonné la nation (la bataille des Plaines, la complicité du clergé avec le pouvoir des Anglais); et ceux où, d’elle-même, elle se sera fait hara-kiri (le référendum), on a envie de s’en souvenir avec lui.
La fresque aurait sans doute bénéficié d’un certain allégement des rimes du «verrat qui parle en vers», mais la lecture est récompensée par quelques leçons d’étymologie (d’abord ce «Remember», qui veut dire «remettre ensemble les membres», puis «pétuner», «bizouner», «souffler l’allumette»), des extraits du journal de voyage de Cartier, de Champlain, de Sagard, avec aussi quelques bribes de discours et de chansons.
Pourquoi avoir choisi de voyager à dos de cochon? On pourra s’amuser à croire que le grognon au langage coloré représente l’un ou l’autre des personnages politiques qui ont jalonné notre Histoire. Ou alors, c’est cet autre célèbre personnage romanesque qui nous viendra à l’esprit, signé García Márquez (Cent Ans de solitude, 1968), et l’histoire de la famille Buendia et de ses descendants qui, s’ils n’avaient pas le groin du cochon, en avaient l’appendice. Sans toute la métaphore qu’y a mise Márquez, Noël Audet a écrit à sa manière l’histoire d’une famille et à travers elle l’histoire d’un pays. Le conte de «notre schizophrénie ordinaire». Des siècles de doute. Éd. Québec/Amérique, 1998, 355 p.