Thérèse Renaud/France Théoret : Voix sacrées
Cinquante ans plus tard, le Refus global des Automatistes résonne d’un sens nouveau. Au-delà des célébrations qui l’auront relancé à la face d’une société qui y reste étanche, ce sont les témoignages multipliés des créateurs qu’il faudra retenir. Autant ceux qui ont fait l’histoire, comme Thérèse Renaud et Fernand Leduc, qui disent toujours «Présents!» en publiant le recueil N’être, que des héritiers, telle France Théoret, qui, dans Une mouche au fond de l’oil, rend hommage au poète exploréen Claude Gauvreau, et à l’esprit qui l’animait.
Thérèse Renaud et Fernand Leduc, qui vivent en France, étaient les invités d’honneur du Festival international de la poésie de Trois-Rivières au début d’octobre. Le recueil N’être, qui inclut de magnifiques pastels du peintre Leduc, donne l’occasion à la poète, auteure de sept recueils, incluant Les Sables du rêve (1946) et Plaisirs immobiles (1981), de faire une sorte de bilan. Bilan d’une vie consacrée à l’amour, à l’art, à la joie immense d’être au monde. Hommage à la lumière, à la grandeur de l’homme, mais aussi évocation des souffrances, cette poésie éclate:
«Fastes inconnus / de l’Amour, / larmes à facettes variées / gravées dans le cour / L’univers est / joie dévorante / Tout est volupté / verve explosive! / Incontestable richesse / ETRE de chair et de sang /Il est là, le bel Amour / confondant les aspirations /de chacun. / Intensité, emprise, magnétisme… / Désormais et toujours!»
C’est bien d’un hymne à la vie vivante qu’il s’agit! Refaisant le trajet d’une jeunesse mouvementée, Thérèse Renaud rappelle, dans Un couple, sa rencontre avec Fernand Leduc, un malentendu et une reconnaissance réciproque. Elle revoit Paris dans sa jeunesse, son premier livre. Elle questionne l’absurdité de vieillir, revoit des images qui l’ont marquée, une femme pleurant l’amour perdu au parc Monceau… Fraîcheur et espoir s’exhalent à profusion de ce recueil qu’un couple apparemment heureux a dédié ainsi: «A notre petit-fils Lucas – Ton nom est lumière / une étoile s’est allumée / à ta naissance».
Moi et l’autre
France Théoret, poète, romancière et essayiste, a publié une quinzaine de titres depuis 1976, parmi lesquels Bloody Mary (1977), La Fiction de l’ange (1992) et Journal pour mémoire (1993). Son nouveau recueil, Une mouche au fond de l’oil, en deux temps, s’attache à la difficile mais fondamentale relation à la mère, puis au rapport mobile et constant de l’individu à la communauté, du «singulier de la première personne au pluriel des solidarités». Rejetant toute forme de nostalgie, c’est dans un présent palpable et immédiat que s’inscrit sa parole: «Il n’y a ni avant ni après, le seul temps que je mets à composer ton visage, que je touche au sacré, à l’interdit majeur du regard levé vers toi. Les mots sont indécents, froids dans leur sculpturale précision. Si je dis folie, je reconnais l’âge ingrat. Ton visage emprisonné dans un terme.»
De la mère indocile aux inconnus croisés dans l’autobus 24, rue Sherbrooke, «à la hauteur de mes mots / j’essaie d’être / je ne m’habitue pas aux reniements / simulation et faux apaisement», écrit France Théoret, fidèle en cela à «Antonin Artaud / Claude Gauvreau / pour l’outrance / la vocifération / l’extrême la marginalité / l’apparent solipsisme / la défense de soi-même / l’intimidation de la conscience».
N’être
de Thérèse Renaud
Pastels de Fernand Leduc
Éd. Les Intouchables, 1998, 104 pages
Une mouche au fond de l’oil
de France Théoret
Éd. Les Herbes rouges, 1998, 78 pages