James Ellroy est un écrivain-culte. Je suis de cette race d’accros, qui attend chaque nouvelle parution avec une ferveur maladive. Même cette vulgaire compilation d’articles et de textes épars, préalablement publiés dans le magazine américain GQ, destinée en apparence à faire patienter les junkies que nous sommes, en manque de leur dose annuelle d’Ellroy, nous excite! On sera heureux même si on nous refile de la camelote, même si on est convaincu qu’on sera déçu. Coup de théâtre, c’est du bon stock!
Ce livre, supposément mineur dans l’ouvre du maître américain du roman noir (aux dires même de l’éditeur, qui le publie «en attendant la suite d’American Tabloid» prévue pour la fin 99), constitue un élément nutritif essentiel pour approfondir notre compréhension de l’univers ellroyen.
L’auteur de L.A. Confidential poursuit d’abord dans ce florilège l’introspection amorcée dans son livre précédent, Ma part d’ombre, consacré à sa récente enquête sur le meurtre de sa mère, commis il y a 40 ans, où, déjà, son investigation avait fait la lumière davantage sur son cheminement d’écrivain que sur l’identification du meurtrier. De plus, il renoue, tantôt cynique, tantôt clinique, avec sa manie de fouiller minutieusement le merdier des organisations criminelles et policières.
Lui qui s’était exilé de son L.A. natal, il y est revenu pour élucider l’énigme de ses origines. Mais son regard rencontre un L.A. fin de siècle, différent des mythiques années 50 qui ont inspiré son ouvre. Après avoir écrit une dizaine de romans qui auscultaient le corps policier, la mafia, la politique, la justice, les syndicats, le cinéma, le journalisme, bref les sources de la corruption dans la Californie de son enfance, celle de l’après-Deuxième Guerre mondiale, l’écrivain avait suivi son désir en investissant l’Amérique des années Kennedy dans le premier tome d’une trilogie. Avec American Tabloid, dont les suites nous entraîneront de plus en plus vers le présent, Ellroy s’était détaché de sa mythologie.
Et dans les textes de Crimes en série, c’est bel et bien d’aujourd’hui qu’il nous parle. D’aujourd’hui, et de lui. Quand il revient sur l’assassinat de sa mère, c’est pour comprendre qui il est devenu, lui, plutôt que pour découvrir qui l’a tuée, elle. Ellroy réussit enfin à parler de lui sans se camoufler derrière les grandeurs et décadences des années 50.
J’aurais dû vous dire qu’il y a un texte sur la mascarade judiciaire d’O. J. Simpson, sur Curtis Hanson, le réalisateur de L.A. Confidential. Mais ce ne serait que des appâts. Ne comptez pas sur ce livre pour vous initier à l’ouvre du monstre. Mais si vous la connaissez un tant soit peu, vous rencontrerez la vulnérabilité et la fragilité d’un écrivain qui laisse voir derrière le personnage. C’est touchant, avec l’intelligence de la naïveté, la fraîcheur de la sincérité, la violence de la lucidité. Ça confirme que l’écrivain est résolument transformé, mais qu’il est toujours aussi dément…
Crimes en série, de James Ellroy.
Éd. Rivages/Thriller, 1998, 255 p.