Livres

Pourquoi écrivez-vous : ?

Comme on se l’imagine, la plupart des écrivains ne poussent pas le crayon pour payer leur loyer. Certains écrivent parce qu’ils ne peuvent faire autre chose (et ils l’avouent) d’autres parce que les paroles ne suffisent pas. Rencontre avec des gens remarquables.

Denise Desautels (vice-présidente de l’Académie des lettres du Québec, Ce fauve, le bonheur, Éd. de l’Hexagone)

«Pourquoi est-ce que j’écris? En effet, pourquoi? Aujourd’hui je cherche mes mots. La question ne m’est pas posée au bon moment. D’habitude je le sais, il m’arrive même d’être très convaincante quand je parle d’intimité, de couches de mémoire entre lesquelles le sens s’est perdu, de cette archéologie de l’intime qui me permet, de livre en livre, de renouer certains fils et d’en comprendre la fragilité. D’habitude je mets de l’avant la pensée, et le langage, et le plaisir, et tout ce qui s’ouvre en moi quand les mots vrillent l’opacité du monde, ses énigmes, ses petites et grandes détresses, ses petites et grandes désaffectations. Reprenant encore une fois les mots de Gail Scott, je dis et je répète que j’écris pour «vivre grande». Mais depuis quelque temps – vous n’y êtes pour rien, j’aurais peut-être dû m’abstenir de répondre à votre question -, la douleur occupe tout l’espace, la vie autour de moi s’effrite et son champ est plus miné que jamais. Et l’obscurité, ô l’inquiétante obscurité! Cependant je veux croire que la ferveur reviendra, que le goût du sens – toujours éphémère, mortel, bien sûr – me reviendra. Alors je recommencerai à lire les mots des autres et j’écrirai, j’écrirai en état d’urgence, à deux pas du chaos, pour voir apparaître au bout du tunnel une éclaircie. Mais, aujourd’hui, cette éclaircie, je l’appelle à hauts cris, avec dans ma voix des doutes, tant de doutes.»

Hélène Dorion (directrice littéraire des éditions du Noroît, Les Murs de la grotte, Éd. de la Découverte)

«L’écriture relie l’aventure de la vie à celle de la création. Aller vers l’écriture, vers le poème, c’est pour moi concrétiser l’expérience intérieure du monde, tenter d’approcher le mystère de l’être et de la vie.

Expérience de présence et de recueillement, chemin d’ouverture et de lucidité, l’écriture fait de ma vie une quête permanente, me rattache au plus petit bruissement des choses, et me donne l’irremplaçable sentiment d’être unie au monde. Ainsi me projette-t-elle vers moi-même, au plus loin, empêchant que je cède à un silence qui m’habite – me poussant plutôt vers une vérité de l’être. Écrire m’est un chemin au-devant de moi-même, la réalisation d’une forme invisible déjà existante, qui me précède et par là m’invite à l’avancée.

L’écriture me souffle à l’oreille le doute nécessaire à la réinterprétation et au renouvellement du sens. En cela, elle me permet d’habiter le mouvement de la question. Mouvement lent d’ouverture du langage, et donc du regard et de la réalité elle-même.
Écrire est ma façon d’être présente au monde. De ne jamais perdre cette sensation de vertige ressentie lorsque, enfant, je levais les yeux vers le ciel infiniment noir.

A travers la lunette qu’est l’écriture, je cherche à donner sens à cette histoire de Terre et de Soleil qui est nôtre, et à cette histoire d’un je qui est mienne, l’une et l’autre s’éclairant réciproquement. Grande et petite histoire, grandes et toutes petites raisons pour lesquelles j’écris, chacune tenant une extrémité du fil où se tiennent mes mots.»

Sergio Kokis (Un sourire blindé, Éd. XYZ)

«J’écris pour le plaisir. C’est une chose qui m’amuse. De jouer avec des histoires. Une fois que le récit est bien agencé dans ma tête, c’est comme un nouveau livre que je suis en train de lire. C’est bien différent de la peinture. Quand je commence à écrire, l’histoire s’est déjà organisée un peu d’elle-même dans ma tête. Je la vois défiler quand je me mets à écrire. Écrire me détend donc beaucoup. J’ai commencé à écrire très tardivement, je n’avais jamais pensé à devenir écrivain, j’avais déjà mon identité, dépassé 50 ans… A un certain moment, je crois que l’angoisse vient de la quête identitaire. Quand vous commencez à écrire très jeune et que vous n’avez pas encore beaucoup vécu, vous vous demandez si vous êtes un écrivain. Alors que si vous êtes plus vieux, que vous avez déjà votre personnalité, que vous connaissez vos limites, vous commencez ce jeu; et si ça marche, vous continuez. Mon écriture, c’est de raconter des histoires. Il y a moins d’investissement personnel. J’avais réglé toutes sortes de problèmes dans ma vie; j’avais un peu plus de paix, j’avais atteint un meilleur équilibre avec ma peinture. Et est apparue une cohérence de la parole. Une activité imaginaire, plus on l’exerce, plus elle devient autonome et satisfaisante. Lorsque je suis en train d’écrire, c’est moi seul qui pense à l’histoire; ce n’est qu’une fois qu’elle est finie que j’essaie d’imaginer comment les autres vont la lire! Comme j’ai commencé tard à écrire, je reste sous l’impression que cette activité-là est un peu gratuite…»

Michèle Lemieux, illustratrice et auteure (Nuit d’orage, Éd. du Seuil)

«Le dessin est pour moi une forme d’écriture, une forme directe de transcription des émotions dans un langage imagé. Pour ce dernier livre, j’ai d’abord dessiné et ensuite j’ai écrit. Pour faire avec des mots une affirmation ou un questionnement parallèle, entre l’image des émotions et la description propre au langage. J’ai toujours d’abord été une illustratrice, c’est mon métier; mais en faisant ce livre, je n’ai pas réfléchi à quel rôle je jouais! Je n’ai pas illustré des phrases. Ce livre est plus près de l’écriture que du dessin dans sa genèse. J’aimerais pouvoir vous dire que oui, je pourrais écrire un livre sans illustrations, si j’étais sûre d’avoir la capacité de le faire. Mais le monde de l’image reste mon univers privilégié. Selon moi, les adultes ont besoin de davantage de livres «pour enfants». Il y a très peu de livres illustrés qui soient destinés aux adultes. Pourtant l’image est un langage en soi. Auparavant, on a beaucoup illustré les textes des grands écrivains: Dostoïevski, Tolstoï… Moi, j’aime l’abstraction de l’image, une image qui doit parler à un texte.»

Caroline Mérola, bédéiste (Le Rêve du collectionneur, Éd. Kami-Case)

«Par la force des choses, puisqu’il faut bien, en bande dessinée, mettre des mots sur les images. Et puis c’est la façon la plus économique de créer des effets spéciaux: les personnages peuvent voyager dans le temps, les maisons peuvent naviguer et les fantômes exister, sans qu’on ait à débloquer de gros budgets. En général, je préfère dire que je «raconte des histoires» plutôt que de prétendre écrire… C’est moins compromettant.»

Maxime-Olivier Moutier (Marie-Hélène au mois de mars, Éd. Triptyque)

«Ça change souvent. Je n’écris pas maintenant pour les mêmes raisons que j’écrivais il y a deux ans. Mais c’est la question que je me pose tout le temps, aussi. Je ne le sais pas, ça reste très obscur. Mais je pense qu’en ce moment, ce que j’écris, je l’écris parce que je ne serais pas capable de le dire. Ça se passe toujours entre la parole et l’écriture, pour moi. Il y a des gens pour qui parler suffit. Mais moi, j’ai besoin d’en dire plus, et je ne peux l’atteindre que dans l’écriture, à cause d’une incapacité de parler. Je trouve plus facile d’écrire que de parler, pour dire certaines choses. Il y a des choses qu’on ne peut exprimer qu’avec l’écriture. Je pense que mon dernier roman (Marie-Hélène au mois de mars), je n’aurais jamais pu expliquer ça à qui que ce soit. Ce que j’ai voulu dire, les sentiments, l’ambivalence, ça ne pouvait tenir que dans l’écrit. Il y a moyen de transmettre quelque chose au lecteur qu’on ne peut pas communiquer en parlant, je pense. On dirait qu’il y a moins d’équivoque quand on écrit. Quand tu parles, les gens ne comprennent jamais ce que tu dis, en fait. On dirait que dans l’écriture, il y a moyen d’aller chercher un contact un peu plus direct. Mais c’est peut-être une illusion, encore. Et d’écrire me permet de passer à autre chose, une fois que c’est écrit. C’est comme une étape. Mais c’est surtout de rendre publics mes écrits, de savoir qu’à partir de maintenant, les lecteurs vont penser certaines choses de moi, qui change ma vie. Parvenir à toujours écrire quelque chose qui va avoir une conséquence dans ma vie: moi, c’est pour ça que j’écris. Pour changer. Ça me fait jouir, ça. Mais ça ne veut pas dire que c’est facile.»

Jean-François Poupart (La Tentation du silence, Éd. Les Intouchables)

«J’écris parce que je compose de la musique et que j’aime dessiner dans les marges du poème d’autres images qui deviendront des mots. J’écris pour changer les choses, pour reconstruire le réel, pour affirmer ma complète insubordination face au silence qui nous guette tous. L’écriture est issue des ratures, elle prend racine dans son impossibilité et, lorsqu’elle apparaît, elle doit, sans concession, dire toute la vérité qui l’a mise au monde. J’écris parce que je suis un être bombardé par l’existence, par un excès d’images qui bouffe mes nuits, par la certitude que l’essentiel reste à dire.

J’écris parce que j’aime danser sur le bord des falaises. J’écris toujours en pleine contradiction, là où les pulsions s’affrontent, dans un état de zombie hyper-logique qui jongle avec des grenades et qui éclate de rire. L’écrivain écrit toujours trop ou pas assez, il n’y a pas de juste milieu, et c’est toute la beauté de cet état de veille. J’écris parce que je suis ambidextre et j’aime tenir en équilibre tout le poids du monde sur une plume qui court. J’écris à l’instant précis où le barrage se fissure. J’écris mon étonnement d’être toujours en vie. J’écris parce que… tiens, il y a du soleil… j’y vais…»

Claire Varin (Clair-obscur à Rio, Éd. Trois)

«J’écris pour prendre le temps de mieux parler. Pour investir l’espace d’une parole qui soit délivrée de ma timidité, de la précipitation et des rapports de pouvoir à l’ouvre dans la société. J’écris en partie parce que j’ai souvent l’impression de ne pas savoir parler, parce que je vis en état d’insécurité linguistique permanent.

J’écris pour m’approcher du silence. J’écris parce que je ne peux pas toujours passer mon temps à caresser mes chats, mon chum, les fleurs, les feuilles et les branches de mes bonsaïs et autres verdures. J’écris pour varier. J’écris pour voyager en moi ou à l’étranger. J’écris pour circuler. Faire circuler ce qui de moi peut rejoindre les autres. J’écris pour me centrer, pour approfondir mon existence et polir mon miroir, ce miroir que l’on est tous les uns pour les autres.

J’écris pour rencontrer des êtres humains, lier des amitiés. J’écris pour être lue… et être, mais oui, aimée. J’écris pour mettre au monde et m’incarner sur cette terre, pour me délivrer de ma personne. J’écris parce que j’écris. Et j’avais oublié que j’écrivais pour toutes ces raisons-là…»