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Rachelle RenaudL’Amour en personne : A cour ouvert

La nouvelle, qui s’accorde si bien à notre rythme actuel de vie, ne requérant pas de longues plages de temps comme la lecture d’un roman, ne connaît pas la popularité qu’elle mériterait. Mais les auteurs de nouvelles ne désarment pas. Rachelle Renaud, qui s’est fait connaître avec un roman piège, à la structure complexe, Le Roman d’Éléonore (Éd. Vlb, prix Jacques-Poirier 1996), lance à présent un recueil qui respire la vie par tous ses pores, L’Amour en personne, qui inclut pas moins de vingt-cinq nouvelles, dont quelques-unes ont déjà paru dans des revues.

On y entre sans se méfier et déjà on est emporté, happé, concerné par ces bouts d’existence racontés par une voix qui glisse quasi imperceptiblement au fil des pages, selon l’histoire à raconter, le souvenir à rendre au jour. Ici, une femme, jeune encore, se remémore une injustice de son enfance, la rivalité qui l’opposait à sa sour; puis un adolescent mésadapté, amateur de Saint-Exupéry, raconte que la nuit, dans ses rêves, il se fait grand oiseau, survolant les plaines, confrontant les orages.

«Et au matin, c’était fini. Je me réveillais, le corps de plomb. Devant la glace, je constatais la gravité de la situation. J’avais bel et bien la peau d’un homme: j’avais deux bras, deux jambes et un sexe qui, lui, voyait tout en rose, et qui, depuis belle lurette, déluré, avait fait à sa tête. Rien à faire, c’était comme ça. J’étais poigné, pour la vie, avec un corps comme les autres, la baguette du bonheur à portée de braguette.»

L’écriture de Rachelle Renaud, toujours concrète, même lorsqu’elle relate les accès de délire de certains personnages, emprunte beaucoup au langage parlé, aux expressions familières. Pas de maniérisme, il s’agit plutôt d’aller directement au cour des choses, tout en réhabilitant des mots souvent méprisés par les littérateurs. Divisé en trois parties, Monts et merveilles, L’Amour en personne et A corps perdu, le livre semble suivre les étapes d’une vie à travers un éventail de personnages attachants, déchirés, sereins ou désespérés, de la petite enfance à la vieillesse.

Avec en son cour, comme son titre le laisse deviner, l’amour sous toutes ses facettes. Filial, maternel, passionné, séducteur, adultère, incestueux, durable ou passager. Tendre ou violent, vivace dans la mémoire, qui a manqué ou n’est jamais advenu. L’écrivaine fait montre parfois d’une impudeur salutaire à vous faire passer des frissons, des émois. Ses histoires ont le poids du vécu, et la souffrance contenue, et aussi une forme de détachement qui vient sans doute avec l’âge, la compréhension, l’acceptation de la part inexpliquée de la vie.

«Et là, je peux enfin te le dire sans détour, mon amour: désormais, je me déresponsabilise de ta sacrée vie et de tout ce que tu aurais pu en faire. Tu étais ravissante, bourrée de talent, tu avais le monde à tes pieds. Alors, si tu as eu le malheur de laisser ta simple beauté de femme gâcher ta vie, eh bien, ça aurait été de ta propre faute. Les mauvaises fées, ma chère, ça n’existe que dans les contes pour enfants.»

Mais loin d’être sombre ou trop sérieux, L’Amour en personne est un livre riche par la diversité; l’humour et le jeu y occupent une bonne part. Rachelle Renaud, on le sent bien, a le plaisir des mots et de l’imaginaire et elle sait transmettre son amour de la vie sans mièvrerie.y

L’Amour en personne
de Rachelle Renaud
Éd. du Nordir, 1998, 176 p.